Alors que la famille d’Esteer Gabriel hésite encore à venir en France, Merhawi, un jeune Erythréen, vient, lui, de franchir le pas. Esteer et Merhawi auraient pu se croiser à Tel-Aviv (Israël), où ce père de 29 ans survit depuis neuf ans, pas si loin du domicile de la famille soudanaise. Ils auraient même pu prendre l’avion ensemble le 28 janvier, puisque ces deux familles figuraient sur la même liste des réfugiés « vulnérables » que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies souhaite réinstaller en priorité dans un pays qui leur offre un statut.

Pour l’heure, seul Merhawi a trouvé le courage de reprendre la route, la mort dans l’âme, lui qui a perdu sa femme après la naissance de leur deuxième enfant. « Même si on te propose un paradis, c’est un crève-cœur de quitter des amis avec qui j’ai passé neuf ans et huit mois… avec qui j’ai vécu tellement de choses. Ma vie était en Israël, même si elle était impossible sans statut et sans autorisation de travailler », soupire-t-il dans le centre de transit où il est désormais hébergé depuis six semaines, à Villeurbanne, près de Lyon.

En attendant qu’une famille de réfugiés arrive effectivement à Bugeat – le village corrézien prévu pour la famille d’Esteer – l’opération « Les nouveaux arrivants », se déplace donc dans la région de Lyon pour suivre les premiers pas en France de Merhawi, Sam et Rafaël, ses deux petits garçons.

Une arrivée teintée d’un rose très léger

Il était 21 heures le 28 janvier quand l’avion de Merhawi s’est posé à l’aéroport de Lyon. Il faisait frais ce soir-là, le temps était couvert et il venait juste de pleuvoir. Mais, côté météo, Merhawi s’attendait à bien pire. « On m’avait dit que j’aurais très froid. En fait, ici il fait à peu près la même température qu’à Tel-Aviv », dit-il, un peu victime de ce filtre qui semble teinter d’un rose léger son nouveau pays d’accueil.

Enfin, rose très léger, car le soir de son arrivée, la petite famille a dû faire face à sa première déconvenue en France. A l’aéroport, tout s’est bien passé. « J’étais allé les attendre avec mon collègue qui s’occupe de la logistique », se souvient Caroline Rabatez, travailleuse sociale, chargée de leur expliquer la France durant un an ou dix-huit mois, selon leurs besoins.

Une fois récupéré l’unique bagage familial, un grand sac, celui où chaque membre de la famille a casé quelques bribes de sa vie d’avant, direction le centre de transit. Un lieu qui permet de loger en urgence tous les étrangers qui se retrouveraient à la rue. Mais qui ne ressemble pas vraiment à la promesse faite au papa africain.

« Je faisais confiance au HCR, qui m’avait dit que j’arriverais dans un appartement. J’ai été infiniment triste quand on m’a montré les deux chambres du foyer qui m’étaient réservées », raconte Merhawi. Les chambres 3-33 et 3-34, mitoyennes mais non reliées, constituent les 14 m2 de la petite famille depuis son arrivée.

« Gérer les déconvenues fait partie de mon travail. J’ai vu tout de suite sur le visage de ce papa que la solution ne lui convenait pas, dit Caroline Rabatez. Je lui ai vite expliqué qu’elle était temporaire et qu’il aurait rapidement un appartement, mais je conçois sa déception initiale. Chaque réfugié arrive avec son histoire, ses attentes. »

Vérifier leur autonomie

L’association Forum réfugiés, pour laquelle travaille la jeune femme, a l’habitude de gérer les réinstallations. « Chaque année, nous recevons douze familles que nous envoie le Haut-Commissariat aux réfugiés », rappelle Jean-François Ploquin, secrétaire général de Forum réfugiés. Toutes passent par le centre de transit, le temps de mieux les connaître, de vérifier leur autonomie avant de les envoyer dans un logement indépendant.

« Contrairement à d’autres familles, Merhawi aurait pu se débrouiller seul d’emblée, observe Caroline Rabatez. Pour lui, la signature du bail est une question de semaines. Je sais que cela lui semble très long, mais nous avons visité ensemble l’appartement et le bailleur souhaite y réaliser des travaux de plomberie. On ne peut pas s’y opposer. »

Le père de famille a effectivement hâte de retrouver un chez-soi, car, pour l’heure, il se sent en stand-by et ne parvient pas à démarrer sa vie française :

« J’ai aménagé une des chambres en pièce commune et nous dormons tous les trois ensemble dans l’autre, dans les deux lits que nous rapprochons. Ce n’est pas idéal… En plus, je souffre beaucoup de l’absence de Wi-Fi. C’est un vrai problème car je me sens très isolé, coupé de ceux qui constituaient mon entourage en Israël. Caroline [ Rabatez] est formidable, les Français sont excessivement gentils, alors je suis confiant. Mais j’ai vraiment envie, besoin d’une installation définitive. »

Douleur de l’exode initial

Caroline Rabatez sait ce qu’est la difficulté d’adaptation. Elle sait que cette arrivée en France, après une décennie à Tel-Aviv, ravive la douleur de l’exode initial, celui qui l’avait amené d’Erythrée en Israël. La travailleuse sociale a tous ces éléments en tête en veillant sur la vingtaine de familles réinstallées qu’elle accompagne en ce moment, à des degrés divers, en fonction des besoins spécifiques de chacun.

Côté administratif, les six premières semaines de Merhawi lui ont déjà permis de construire les soubassements d’une existence administrative. « D’abord, j’ai pu aller au guichet unique déposer ma demande d’asile », raconte l’homme que Le Monde accompagnera à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), mardi 28 mars, pour l’entretien qui lui permettra d’être reconnu comme réfugié.

« Nous avons inscrit Sam et Rafaël à l’école voisine et ils ont commencé leur scolarité en maternelle », ajoute Mme Rabatez, qui a aussi accompagné le nouveau venu à la Sécurité sociale, afin qu’il ouvre ses droits de demandeur d’asile. « Si j’étais dans mon appartement, je pourrais dire que tout est pour le mieux », conclut le « nouvel arrivant ».

500 jours, 25 migrants, 4 journaux, 1 projet

Pendant un an et demi, quatre grands médias européens, dont Le Monde, vont raconter chacun l’accueil d’une famille de migrants. Le projet s’appelle « The new arrivals ». A Derby, au nord de Londres, c’est la vie d’un agriculteur afghan et de son fils que décrira le Guardian. A Jerez de la Frontera, en Andalousie, El Pais suivra une équipe de foot composée de migrants africains. A Lüneburg, près de Hambourg, Der Spiegel va chroniquer le quotidien d’une famille de huit Syriens.

Comment vont se tisser les liens de voisinage ? Les enfants réussiront-ils à l’école ? Les parents trouveront-ils du travail ? Les compétences de ces migrants seront-elles mises à profit ? L’Europe les changera-t-elle ou changeront-ils l’Europe ?

Ce projet, financé par le European Journalism Centre, lui-même soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, permettra de répondre à ces questions – et à bien d’autres.