Emmanuel Macron visite le marché du Chaudron, à Saint-Denis de la Réunion, dimanche 26 mars. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

« Fous dehors ! », « c’est quoi de gauche Macron ? », « les z’oreilles pas chez nous ! ». Imperturbable, Emmanuel Macron arpente sous la pluie tropicale les allées du marché du Chaudron, un quartier difficile de Saint-Denis de La Réunion. Le candidat du mouvement En marche ! n’est pas en terrain conquis ici, Marine Le Pen y a ses partisans et ils n’apprécient pas de voir l’un de ses adversaires venir les défier. « C’est courageux qu’il se rende au Chaudron, souffle un badaud au milieu des étals de longanes. Hollande n’était pas venu en 2012 ! »

Pas question pour l’ancien ministre d’éviter la confrontation. Arrivé sur l’ancienne île Bourbon en début de matinée samedi 25 mars, il repart dès le lendemain, après un rapide passage à Mayotte, dimanche. Chaque visite est importante. Chaque arrêt peut faire gagner une voix.

A moins de quatre semaines du premier tour de l’élection présidentielle, prévu le 23 avril, Emmanuel Macron se trouve à un moment charnière de sa campagne. Désormais en tête des études d’opinion, où il devance dans certains sondages récents Marine Le Pen, le candidat de 39 ans doit réussir à maintenir sa dynamique s’il veut espérer accéder au second tour et a fortiori remporter le scrutin. En est-il capable ? A-t-il les ressorts pour tenir ce rythme encore un mois ? N’est-il pas trop haut trop tôt ?

« La dynamique est bonne [et] surtout continue. Mais, pour moi, rien n’est fait, reconnaît M. Macron, qui ne veut surtout pas laisser accroire que la partie est gagnée et que ses troupes se démobilisent dans la dernière ligne droite. Je considère qu’il y a un énorme travail de conviction à faire, il y a beaucoup de gens encore qui n’ont pas regardé les programmes, qui n’ont pas fixé leur idée dans cette campagne. » De fait, près d’un électeur macroniste sur deux se dit non encore certain de son choix, selon les études.

Preuve que rien n’est acquis, Emmanuel Macron a connu un meeting difficile, samedi à Saint-Denis. Habitué à remplir les salles dans l’Hexagone, il n’a pu cette fois cacher les travées clairsemées : moins de 2 500 personnes étaient présentes au stade de l’Est alors que le lieu peut en contenir 4 500. Pis, les gradins se sont vidés au fur et à mesure et M. Macron a terminé son discours devant une salle à moitié vide et dans une ambiance empesée.

La faute à la chaleur et aux embouteillages, a expliqué son entourage. La faute aussi au candidat, qui s’est lancé dans un improbable stand-up, invitant des personnes qui l’interpellaient depuis les gradins à monter sur scène pour lui poser des questions. « Y a un petit côté Jacques Martin », a-t-il lui-même reconnu lorsqu’un enfant de 6 ans est venu lui demander « comment on devient président ? ».

« Les gens ne voulaient pas un discours ex cathedra mais des choses très concrètes, a assumé M. Macron après la réunion. Je n’exclus pas de le refaire. Je vais alterner selon les situations et les attentes. » Pas sûr que ses proches l’y encouragent tant le résultat a été mitigé. Heureusement, le candidat s’est rassuré à Mayotte, où il a au contraire reçu un accueil plein de ferveur lors d’une réunion publique en plein air à Dzaoudzi, même s’il n’est resté sur l’île qu’une poignée d’heures avant de repartir pour Paris.

Risques de conflits

La visite de M. Macron à La Réunion a également révélé un écueil qu’il va devoir rapidement contourner s’il veut réussir son pari élyséen. Tout au long de sa visite, le champion du progressisme a été accompagné par Gilbert Annette, le maire (PS) de Saint-Denis, et Thierry Robert, député (MoDem) et maire de Saint-Leu. Or, les deux hommes s’opposent sur l’île et revendiquent pour leurs proches l’investiture d’En marche ! aux élections législatives. M. Macron va devoir trancher, au risque de faire des mécontents.

« Dire qu’on est de droite et de gauche, c’est bien au niveau national, mais cela mésestime les rivalités locales », reconnaît un proche, qui voit avec anxiété les ralliements – et donc les risques de conflits – se multiplier depuis quelques semaines. « Nous sommes en train de recomposer la politique française, reconnaît M. Macron. [Mais] je ne fais appel à personne. A la fin, ce qui compte, c’est un projet et nos concitoyens. »

Pour autant, pas question de promettre tout et n’importe quoi dans le sprint final. M. Macron pense avoir l’image d’un candidat du parler vrai et il tient à la conserver, « sinon on fait des déçus ». « Je ne suis pas venu pour faire des promesses mais pour des engagements réciproques », a-t-il répété à plusieurs reprises lors de ses visites. S’il prévoit un milliard d’euros sur le quinquennat pour le financement d’investissements dans les territoires d’outre-mer, ou de porter à 200 000 le nombre de billets d’avion à tarif préférentiel délivrés chaque année aux ultramarins, il a refusé de promettre qu’il résoudrait le problème du chômage dans les DOM-TOM, notamment à La Réunion où 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

« Je pense qu’il faut prendre chaque jour comme il vient, avec beaucoup de détermination, affirme le candidat. J’ai toujours la même volonté d’aller au contact, d’expliquer, d’entendre les attentes et parfois aussi les colères, parce qu’il y en a aussi beaucoup aujourd’hui en France. Pour moi, ce mois sera un mois de travail, de détermination et de conviction sur le terrain, avec toujours le même optimisme. » Un mois, à la fois si court et si long.