Mises en examen en 1998, neuf personnes n’avaient « plus jamais été entendues ni été confrontées à aucun protagoniste » depuis 1999. Innocentées dix-huit ans après leur mise en examen dans un volet secondaire de l’enquête sur l’assassinat du préfet de la Corse Claude Erignac, elles ont obtenu, lundi 27 mars, la condamnation de l’Etat pour « faute lourde » et le versement à chacune de 100 000 euros de dommages et intérêts.

Le tribunal de grande instance de Paris a relevé le « délai déraisonnable de la procédure d’instruction ». Le 30 juin 2016, une juge antiterroriste avait prononcé un non-lieu général dans cette enquête, restée ouverte malgré l’arrestation et les condamnations définitives entre-temps des membres du commando et d’Yvan Colonna pour l’assassinat du préfet Erignac, le 6 février 1998, à Ajaccio.

Ce non-lieu avait bénéficié à trente et une personnes. Neuf d’entre elles, dont certaines ont été maintenues sous contrôle judiciaire jusqu’à la fin de la procédure, avaient saisi la justice pour obtenir la condamnation de l’Etat.

L’Etat met en avant la complexité du dossier

Le tribunal a pleinement reconnu leur « préjudice moral » et a condamné à ce titre l’Etat à leur verser à chacune la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, et à s’acquitter des frais de justice. Il a en revanche débouté les demandeurs de leur demande de réparation pour « préjudice économique ».

La justice estime non seulement qu’une « faute lourde a été commise en laissant sous contrôle judiciaire depuis 1999 des personnes mises en examen qui n’ont plus jamais été entendues », mais a aussi relevé la lenteur du parquet, qui a rendu son réquisitoire définitif « plus de deux années » après que le juge eut clôturé son enquête, un délai « anormal ».

En novembre 2016, la procureur avait reconnu que le délai de cette procédure pouvait « être qualifié d’excessif et conduire à engager la responsabilité de l’Etat ». L’avocate de l’Etat avait tenté de justifier les dix-huit ans de procédure par « l’extrême complexité » du dossier.

L’échec de la « piste agricole »

Au moment de l’assassinat du préfet Erignac, l’île était traversée par une contestation agricole violente contre une nouvelle politique du gouvernement resserrant la vis des aides financières.

Le chef de la division nationale antiterroriste d’alors, Roger Marion, s’était lancé sur cette « piste agricole » en raison de liens supposés de syndicalistes corses avec le nationalisme armé, estimant que le préfet aurait pu être assassiné pour s’être opposé au monde agricole.

Dans ce volet de l’enquête, quelque six cent cinquante personnes ont été entendues, trois cent cinquante placées en garde à vue et quarante-deux mises en examen. Le véritable commando, objet d’une procédure distincte, avait été arrêté en 1999.