L’acteur Tomas Milian lors du Festival du film à Rome, en octobre 2014. | DOMENICO STINELLIS/AP

Il fut un temps où les spectateurs le vénéraient pour ce qu’il était véritablement devenu sur les écrans poussiéreux des salles de quartiers : une figure de héros populaire, un totem du « lumpenprolétariat » révolté, une pure force anarchisante, parfois nihiliste, celui auquel les déshérités de la terre pouvaient s’identifier, dans l’espoir ou la rage. Tomas Milian (de son vrai nom Tomas Rodrigez) est mort à Miami le 23 mars. Il était né à La Havane le 3 mars 1933. Son père, un général de l’armée cubaine, se suicida sous ses yeux après avoir tenté de participer à un coup d’’état. C’est en découvrant James Dean dans A l’Est d’Eden que serait née sa vocation d’acteur. Il s’installe à New York pour y suivre les cours de l’Actor’s Studio et monte sur les planches en 1958 puis est invité au festival de Spolete où il apparaît dans une pièce de Jean Cocteau. Il débute au cinéma dans les films précieux et littéraires d’un Mauro Bolognini (Les Garçons – d’après un scénario de Pasolini –, Le Bel Antonio) et des œuvres représentatives d’une forme de Nouvelle Vague italienne (Les Dauphins de Francesco Maselli, Le Désordre de Franco Brusati), ainsi que dans quelques productions plus lourdes (Mademoiselle de Maupin, L’Extase et l’Agonie).

C’est peut-être en 1966 que tout commence vraiment, avec le western de Sergio Sollima, Colorado. Il y incarne Cuchillo, peon mexicain soupçonné à tort de meurtre et de viol, traqué par un chasseur de prime incarné par Lee Van cleef. Il y fait une composition extraordinaire. Se roulant dans la boue, grimaçant, implorant, fuyant perpétuellement les cavaliers surarmés lancés à ses trousses, il est l’homme du peuple qui échappe à tout pour porter l’espoir d’un bouleversement social. Il devient une magnifique figure carnavalesque en reprenant ce type de rôles dans des films où la révolution mexicaine sert de métaphore anti-impérialiste dans un cinéma transalpin populaire attaché à dissimuler, derrière les postures du divertissement, toutes sortes de considérations politiques, tels Le Dernier face à face et Saludos Hombre toujours de Sergio Sollima, Companeros de Sergio Corbucci, Tepepa de Giulio Petroni, où son rôle de leader révolutionnaire est soudain plus ambigu.

COLORADO - extrait (VF - version restaurée)
Durée : 02:12

Figure du prolétaire romain

L’extraversion de son jeu se manifeste à nouveau spectaculairement, à partir du début des années 1970, dans un autre genre qui va prendre la relève du western, le poliziottesco ou film policier urbain. Il se délecte à incarner des personnages de gangsters sadiques (Brigade spéciale d’Umberto Lenzi) ou de psychopathe pervers (Milano Odia du même réalisateur). Dans Polices parallèles en action, Sergio Martino lui offre pourtant, à l’inverse de l’histrionisme habituel de son jeu, le rôle d’un froid chef des services secrets citant Mao Zedong, à la tête d’un complot d’extrême-droite.

C’est pourtant la figure du prolétaire romain que va exemplairement représenter Milian dans ces polars mal dégrossis où il est Er Monnezza (« l’ordure » en patois romain), titi en salopette crasseuse, jamais à court de parolacce (expressions ordurières) : Echec au gang et Le cave sort de sa planque d’Umberto Lenzi ou L’éxécuteur vous salue bien de Stelvio Massi. A partir de 1976, il incarne, dans une série de titres, le policier Nico Giraldi, flic débraillé aux méthodes peu orthodoxes, version dégradée et trash du Serpico de Sidney Lumet, où il maltraite régulièrement l’ahurissant acteur comique Bombolo. Pour toutes ses compositions « romaines », sa voix est doublée par l’acteur italien Ferruccio Amendola contribuant, à créer cette créature obscène et dionysiaque.

Beatrice Cenci extrait (Tomas Milian et Adrienne Larussa)
Durée : 05:46

Le cinéma italien populaire commence pourtant à décliner. Antonioni lui confie le rôle masculin principal dans son Identification d’une femme (1982). Il est Niccolo, cinéaste abandonné par son épouse en quête d’une vérité sur les femmes que ne lui livreront pas les brumes de Venise. Le cinéma hollywoodien l’emploiera ensuite à nouveau, souvent dans les rôles de fourbes ou, du moins, de douteux Sud-Américains (Cat Chaser d’Abel Ferrara, JFK d’Oliver Stone, The Yards de James Gray). Mais c’est avant, en Italie, entre 1966 et la fin des années 1980, qu’il était devenu une légende, un pur mythe cinématographique, pour ceux qui fréquentèrent avec dévotion les salles de cinéma à double programme des faubourgs.