L’appel de Jérôme Jarre, star française des réseaux sociaux résidant aux Etats-Unis, a fait le tour de la planète. Lancée le 15 mars grâce à une vidéo sur Twitter, sa campagne de levée de fonds intitulée « Love Army for Somalia » a permis de récolter 2,5 millions de dollars (2,3 millions d’euros) auprès de donateurs célèbres et anonymes. Jeudi 30 mars, c’est grâce à cette mobilisation que 60 tonnes de produits nutritionnels s’envoleront de Normandie, siège du groupe Nutriset, pour la Somalie, afin de venir en aide aux personnes victimes de la pénurie alimentaire.

Dans les soutes du vol cargo spécialement affrété par la compagnie Turkish Airlines à destination de Mogadiscio, différents aliments doivent permettre de lutter contre cette famine : 13 tonnes de Plumpy’Doz, 45 tonnes de Plumpy’Sup (deux aliments destinés au traitement de la malnutrition aiguë modérée) et 1,4 tonne de Plumpy’Mum (destiné à la femme enceinte et allaitante, il favorise le développement du fœtus et du nourrisson).

« Noix dodue »

Ces aliments font partie de la marque Nutriset, qui développe une quinzaine de produits nutritionnels. Depuis 1986, cette société basée à Malaunay, à quelques kilomètres de Rouen, s’est spécialisée dans la recherche de solutions alimentaires déployées par les acteurs humanitaires et les gouvernements des pays du Sud. Celles-ci sont utilisées dans le cadre de programmes de prévention et de lutte contre la famine, comme celle qui sévit actuellement au Soudan du Sud et qui menace le Nigeria, la Somalie et le Yémen).

Le Plumpy’Nut, qui signifie « noix dodue » ou « grassouillette », est le produit phare de la marque. Il se présente sous la forme d’un sachet en feuille d’aluminium rempli d’une pâte brune à base d’arachide. Inventé en 1996 et breveté l’année suivante, il s’est imposé dans le milieu humanitaire lors de la famine au Niger, en 2005. Deux ans plus tard, il a été reconnu comme « un produit dont la composition permettra de sauver des millions de vies » par le Programme alimentaire mondial (PAM). Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), deux autres organisations onusiennes, l’ont « certifié » quelques mois plus tard.

Cet aliment, vendu entre 2,30 et 2,80 euros le kilo, doit son succès au fait qu’il est prêt à la consommation, facilement transportable et qu’il peut résister deux ans aux conditions climatiques africaines. Son goût sucré fait qu’il est apprécié par les enfants et il peut être administré directement par leurs mères, sans eau et donc sans risque d’infection ou d’erreur de dosage. Du lait en poudre, du sucre, des huiles végétales, de l’arachide, des vitamines et des sels minéraux entrent dans sa composition.

« Nutella des pauvres »

« Avant les aliments thérapeutiques prêts à l’emploi [ATPE], il fallait utiliser des laits thérapeutiques pour traiter les enfants sévèrement malnutris », explique Yara Sfeir, référente nutrition et santé au sein d’Action contre la faim :

« L’un des avantages importants est que les familles n’ont plus nécessairement besoin de rester plusieurs semaines à l’hôpital, puisque la pâte peut être consommée par l’enfant [de plus de 6 mois et moins de 5 ans] souffrant de sous-nutrition aiguë à la maison. Mais le produit, qui est globalement bien accepté, ne résout pas les problèmes de l’accès aux soins et de la formation d’un personnel médical capable d’appliquer le protocole et d’expliquer aux familles les pratiques de soins nécessaires pour que la santé de l’enfant s’améliore. En plus d’un accès à des soins de santé qualifiés, l’enfant a besoin de boire de l’eau propre et de vivre dans un environnement sain et dans une famille dont les moyens d’existence sont renforcés. L’ATPE n’est qu’un maillon dans une très longue chaîne. »

Nutriset, dont les principaux clients sont le PAM et l’Unicef, est une entreprise familiale créée par Michel Lescanne, ingénieur agronome et fils du créateur de la marque Mamie Nova. C’est au terme d’un voyage au Sénégal, en 1985, qu’il décide de lancer sa propre affaire et de développer, avec André Briend, médecin nutritionniste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), un biscuit capable de combler les carences alimentaires des enfants des pays sous-développés. « Nous avons testé le Plumpy’Nut pour la première fois dans un village au Kenya, confiait Michel Lescanne au Monde en juin 2015. Tous les enfants s’étaient arrêtés pour le déguster. » Depuis, ce « Nutella des pauvres », comme le surnomme André Briend, a conquis la planète.

En 2016, 43 500 tonnes de produits nutritionnels ont été vendues par la société normande, qui présente un chiffre d’affaires de 123 millions d’euros. Si elle a permis à 2,5 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère d’être traités, c’est aussi grâce à PlumpyField, un réseau d’entrepreneurs agro-industriels qui fabriquent, au plus près des besoins, des produits nutritionnels au Niger, en Ethiopie, à Madagascar, en Inde et au Soudan, selon un système de franchises. Mi-février, la société Onyx Développement, filiale du groupe Nutriset, et la société soudanaise SAY ont aussi inauguré Darfood, le premier site industriel de traitement et de valorisation d’arachide du Darfour.

Dans la campagne normande, l’usine de Malaunay tourne en trois huit et fournit 4 000 tonnes de produits nutritionnels par mois. « En ce moment, nous produisons environ deux fois plus que l’année dernière à la même époque, déclare Adeline Lescanne-Gautier, fille du fondateur et directrice générale de Nutriset. Ça fait six mois que les volumes augmentent, mais, depuis le début de l’année, on sent l’importance de cette crise alimentaire. On n’a jamais connu de volumes comme ceux-là. En plus de la sécheresse provoquée par El Niño, on a eu des alertes disant que certains villages libérés de Boko Haram [fin décembre 2016] allaient connaître des taux de malnutrition rarement atteints au Nigeria. »

#Famine : journée spéciale sur Lemonde.fr

Le Soudan du Sud s’est déclaré en situation de famine le 20 février et trois autres pays – le Nigeria, la Somalie et le Yémen – pourraient suivre dans les prochaines semaines, selon les Nations unies qui estiment à plus de 20 millions le nombre de personnes exposées : 7,3 millions au Yémen, 6,1 millions (dont 100 000 déjà touchés) au Soudan du Sud, 5,1 millions au Nigeria, 2,9 millions en Somalie.

Il s’agit de « la plus importante crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale », toujours selon l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a réclamé 4,4 milliards de dollars d’ici à juillet pour prévenir « une catastrophe ».

Plus que la sécheresse, les conflits sont la cause directe de cette situation. Insurrection du groupe djihadiste Boko Haram, qui déstabilise toute la région du lac Tchad ; terrorisme des Chabab, en Somalie ; guerre civile au Soudan du Sud entre les forces légales du président, Salva Kiir, et l’ancien vice-président Riek Machar ; coalition internationale au Yémen dirigée par l’Arabie saoudite contre la rébellion houthiste.

Partout, les associations humanitaires et les agences onusiennes rencontrent des difficultés pour se déployer sur le terrain et organiser la distribution de l’aide. Les fonds manquent aussi à l’appel. Jusqu’à présent, seuls 10 % des sommes réclamées ont pu être collectées.

Tout au long de la journée du 28 mars, nous vous proposons d’échanger sur ce thème. Des experts de l’Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA – « Bureau de la coordination des affaires humanitaires »), l’agence de coordination des affaires humanitaires des Nations unies seront mobilisés pour expliquer les « plans de réponse » élaborés dans ces quatre pays pour faire face à la famine et les obstacles à leur mise en œuvre.

  • 10 h 30 : Pourquoi la famine est un phénomène politique ? Tchat avec Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières.
  • Midi : Facebook Live avec Stéphane Foucart, journaliste au Monde, spécialiste du climat sur le thème : Comment le changement climatique exacerbe les conflits.
  • 14 h 30 : Tchat avec Bruno Meyerfeld, correspondant du Monde au Kenya et envoyé spécial en Somalie.