Au même titre que l’ivoire des éléphants, les cornes de rhinocéros ou les écailles de pangolin, la peau des ânes africains est très recherchée par les Chinois. « Nous nous en servons pour produire un sirop qui s’appelle ejiao, nous explique un pharmacien de Pékin. Avec la gélatine qui se trouve dans la peau des ânes, nous fabriquons un tonic sanguin qui permet de soigner toutes sortes de maux comme l’anémie, la toux sèche ou les conséquences de la ménopause… Mais aussi l’insomnie ou la fatigue chronique. C’est un médicament que nous utilisons en Chine depuis de longues années. »

Seulement, l’appétit grandissant pour cette pharmacopée, dont les prétendues vertus ne sont validées par aucune preuve scientifique, a conduit à diviser par deux la population d’ânes en quelques années seulement dans l’empire du Milieu.

Ecorchés vifs

C’est donc vers l’Afrique que la Chine s’est tournée pour s’approvisionner illégalement en peaux et en viande d’âne. Dans des proportions telles que l’ONG Donkey Sanctuary (« sanctuaire pour les ânes ») tire la sonnette d’alarme. Dans un rapport publié au début de l’année, elle appelle à l’interdiction de ce commerce sous peine de voir disparaître le quadrupède africain comme ont quasiment disparu avant lui de nombreuses espèces animales. L’ONG pointe aussi la cruauté dont le mammifère est victime. Sur les plaines du continent, des gangs déciment des troupeaux entiers. Les carcasses sont dépecées sur place, les peaux, arrachées et revendues à des commerçants chinois.

Selon la Société de prévention contre la cruauté animale (SPCA) d’Afrique du Sud, les animaux sont en général volés aux fermiers puis battus à mort à coups de marteau, et parfois écorchés vifs.

Si elle n’a absolument aucune valeur commerciale en Afrique, la gélatine que contient la peau rapporte des fortunes une fois revendue en Chine. Le pays produit 5 000 tonnes d’ejiao chaque année, ce qui nécessite environ 4 millions de peaux, selon une estimation récente parue dans la presse chinoise.

Ce négoce a fait exploser le prix des bêtes en Afrique du Sud, l’une des plaques tournantes de ce trafic, et renforce d’autant l’appétit des contrebandiers. Le prix de l’animal a été multiplié par cinq ces derniers mois pour atteindre 150 euros actuellement. La police sud-africaine a saisi au début de l’année un stock de 5 000 peaux prêtes à partir pour la Chine. Il s’agit de la plus grosse prise jamais effectuée.

Tenter d’enrayer la contrebande

En Afrique du Sud, le site de vente en ligne Gumtree a interdit cette année les offres de vente d’ânes afin de réduire le massacre de ces animaux. Si le commerce d’ânes est interdit dans le pays, aucune loi ne réglemente pour l’heure l’exportation de produits dérivés tirés de ces animaux. La Chine nie toute participation à ce trafic. « Aucune entreprise chinoise n’importe officiellement de peaux d’ânes d’Afrique du Sud », a assuré l’ambassade de Chine dans un communiqué paru en janvier.

Pour tenter d’enrayer la contrebande, les autorités de la province du Nord-Ouest – qui compte la plus importante population d’ânes d’Afrique du Sud – ont commencé à négocier un accord d’exportation de la peau et de la viande d’âne avec la province chinoise du Henan. Mais la perspective d’un début de légalisation du commerce de l’âne suscite déjà l’hostilité des groupes de défense des animaux.

Le Botswana et le Kenya ont, eux, déjà franchi le pas et exportent désormais en toute légalité leurs peaux vers la Chine. La Namibie doit ouvrir prochainement un abattoir pour traiter localement les peaux et la viande, avant de les envoyer en Asie. A l’inverse, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal et le Niger ont préféré interdire leur exportation vers l’Asie. Mais pour combien de temps ?

A ce rythme, la Chine pourrait bien avoir la peau des ânes africains, devenue le nouvel ivoire de la Chinafrique.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.