Pour ses pourfendeurs, il a été le « bras armé » de la Fédération internationale de football (FIFA) et de son ancien patron, Sepp Blatter, durant l’affaire Platini. Le comité d’éthique de la FIFA a eu un rôle prépondérant lors de la chute de l’ex-président de l’UEFA, laquelle a été précipitée par le fameux paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) que lui a fait, en février 2011, Sepp Blatter.

La procédure ouverte par le comité dit indépendant a empêché le Français – finalement suspendu quatre ans, en mai 2016, par le Tribunal arbitral du sport (TAS) – de briguer la succession du Suisse, lors du scrutin du 26 février 2016. Réformé en 2012 par Blatter, qui s’en est beaucoup servi pour ses intérêts par le passé, le comité d’éthique a désormais le pouvoir de s’autosaisir. Il est composé d’une chambre d’instruction, présidée par le Suisse Cornel Borbely, et d’une chambre de jugement, pilotée par le magistrat allemand Hans-Joachim Eckert. Chargé des affaires juridiques de la FIFA depuis 2007, Marco Villiger en assure la coordination.

Et le rythme de ses activités s’est intensifié depuis le 27 mai 2015. Ce jour-là, sur demande des autorités américaines, la police zurichoise réalise un vaste coup de filet anticorruption à l’hôtel Baur au Lac. Plusieurs dirigeants de la FIFA, de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes et de la Confédération d’Amérique du Sud sont arrêtés, accusés d’avoir bénéficié de 150 millions de dollars de dessous-de-table depuis 1991 dans le cadre de la vente de droits télévisés et marketing lors de compétitions organisées aux Etats-Unis et en Amérique du Sud.

Initiée par le parquet du district est de New York, cette tornade a poussé le comité à faire tomber des têtes, dont celle de Blatter qui, selon un ancien proche, « s’est toujours cru au-dessus de cette commission subordonnée ». « Le comité d’éthique devait comprendre que s’il ne prenait pas des mesures disciplinaires, la justice pouvait poursuivre la FIFA comme organisation et elle n’aurait pas survécu », développe une source américaine. « Il y a eu clairement la volonté d’envoyer un message à la justice suisse et américaine », reconnaît un habitué du comité d’éthique.

Le cas Platini, prioritaire pour le comité d’éthique

Dans ce contexte de crise où la FIFA joue sa survie, le cas Platini, candidat à la fonction suprême, devient donc prioritaire. Quitte à mettre en « attente » celui, plus complexe, du contrat scellé en 2005 entre Blatter et Jack Warner, alors patron de l’Union caribéenne de football, pour l’octroi des droits télévisés des Mondiaux 2010 et 2014. Un document qui a poussé le parquet suisse à ouvrir, le 25 septembre 2015, une procédure pénale contre l’ex-président de la FIFA, par ailleurs poursuivi pour le paiement fait à Platini.

« Il y avait un enjeu politique autour du cas Platini, souffle un proche du comité d’éthique. Il valait mieux que Platini reçoive la décision avant l’élection plutôt qu’après. Cela aurait été catastrophique pour la FIFA, après l’élection. » Sous enquête du comité d’éthique dès le 26 septembre 2015, Platini voit son dossier instruit par la Trinidadienne Vanessa Allard.

Spécialiste en droit immobilier et matrimonial, cette avocate est associée au cabinet Brooks & Brooks, établi à George Town, capitale des îles Caïmans, un paradis fiscal. Choisie par la Concacaf en 2013 pour siéger au CE, la juriste, qui dispose également de la nationalité caïmanaise, est une parfaite inconnue sur l’échiquier du foot mondial.

« A cette époque, la plupart des recommandations pour les nominations à la FIFA venaient de Jeffrey Webb », confie un dirigeant influent de la Concacaf. Ancien patron de la CIFA, le Caïmanais Webb a présidé la Concacaf de 2012 à 2015, succédant au Trinidadien Jack Warner, radié à vie. Adoubé publiquement par Blatter comme l’un de ses successeurs putatifs, le dignitaire a été extradé aux Etats-Unis après son arrestation au Baur au Lac. Il a plaidé coupable devant la justice américaine. Allard n’a pas souhaité répondre au Monde. Tout comme les ex-collaborateurs de Webb.

« Une course de lenteur »

D’emblée, Vanessa Allard se distingue en réclamant, le 5 octobre 2015, à la chambre de jugement des sanctions provisoires contre Platini. Et cela sans attendre les pièces réclamées au président de l’UEFA et qu’il devait remettre avant le… 7 octobre. Le 4 novembre, le clan du Français reçoit un courriel d’Allard comportant 72 questions auxquelles il est tenu de répondre en un temps record. « Le comité n’avait aucun délai pour rendre les décisions motivées. On nous les envoyait le vendredi soir. On ne pouvait pas faire appel. Il fallait faire des dépôts d’argent le week-end, communiquer par fax, c’était gaguesque », ironise un défenseur de Platini.

« Ce fut une course de lenteur. Chaque heure comptait puisqu’on avait le 26 janvier comme dead-line pour que la candidature soit validée, se souvient Thomas Clay, professeur de droit et conseiller juridique de Platini. Il y a eu une violation manifeste d’un procès équitable, la procédure a été biaisée avec concomitance entre le calendrier politique et celui judiciaire. La règle de l’épuisement des recours internes scellait notre défaite. On a fait tous nos matchs à l’extérieur. » Le 23 novembre 2015, le réquisitoire d’Allard estomaque le clan Platini : la juriste réclame la radiation à vie et relie directement le paiement des 2 millions au soutien de l’UEFA à la réélection de Sepp Blatter en 2011.

Outre la Trinidadienne, le Suisse Domenico Scala, patron du comité d’audit et de conformité de la Fédération, de 2012 à sa démission en mai 2016, est au premier plan lors de cette affaire. Gardien du temple FIFA en cette période de vacance, le dignitaire est dépeint par un observateur de la Fédération comme un « type qui s’est servi de sa position pour avancer ses pions ».

Contre-la-montre impossible

Le 20 octobre 2015, celui qui est aussi chargé de valider les candidatures, en tant que président du comité électoral, donne un entretien au Financial Times. Soucieux de s’exprimer sur le cas Platini alors que le comité ne pouvait officiellement le faire, le dirigeant accuse l’ex-milieu de terrain et Blatter de « falsification des comptes et de conflit d’intérêts » et assure que la candidature de Platini est « gelée ».

Andreas Bantel, lui, a un temps cumulé les fonctions de porte-parole de Scala et de la chambre d’instruction du comité d’éthique. Le 11 décembre 2015, soit une semaine avant l’audition du président de l’UEFA par Hans-Joachim Eckert, le communicant zurichois s’épanche dans L’Equipe. Croyant parler « off the record », il déclare que « la question de la corruption est bien fondée » dans le dossier Platini et que ce dernier « sera certainement suspendu pour plusieurs années ». Furieux, l’ex-joueur décide alors de boycotter son audition. Le 21 décembre 2015, Eckert suspend huit ans Platini et Blatter pour « abus de position », « conflit d’intérêt » et de « gestion déloyale ».

Engagé dans une course contre-la-montre impossible, le Français abandonne, le 7 janvier 2016, sa candidature, dénonçant un « procès à charge » de la part du comité d’éthique. Un tribunal interne que son ancien « plan B », Gianni Infantino, une fois élu à la présidence de la FIFA, a pris sous sa coupe. Depuis mai 2016, le « gouvernement » de la Fédération a le pouvoir pour un an de nommer ou de démettre les présidents du comité d’éthique. Trois mois plus tard, l’ancien bras droit de Platini était blanchi par Vanessa Allard au terme d’une enquête du comité d’éthique sur des abus de dépenses et usages de vols privés.