Ronda et Richard Morritt en ont assez. Ce couple d’agriculteurs du Yorkshire, dans le nord de l’Angleterre, travaille sans arrêt et n’arrive pas à boucler ses fins de mois. Cette année, ils ont décidé d’arrêter la culture des fraises. « On ne fera plus que des ­asperges, pour lesquelles il reste un marché où on peut dégager un profit », explique Ronda. Une partie du terrain sera transformée pour installer un parcours d’obstacles pour le dressage de chiens.

Ronda et Richard font partie de ces agriculteurs qui ont voté pour le Brexit. Le choix peut paraître pour le moins paradoxal : depuis des années, ils équilibrent à peine leurs comptes et ne vivent que grâce à l’argent de la politique agricole commune (PAC). De plus, tous leurs travailleurs saisonniers viennent d’Europe de l’Est, essentiellement de Roumanie.

Dans ces conditions, sortir de l’Union européenne n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ? « Franchement, c’est le cadet de mes soucis, témoigne Ronda. Notre principal problème, c’est que le salaire minimum va augmenter à 7,50 livres de l’heure [8,60 euros] en avril. On ne peut plus faire face à la concurrence des importations agricoles à ce prix-là. » Son vote relevait essentiellement du geste de protestation. Et puis le gouvernement britannique a promis de conserver les aides au même niveau que la PAC jusqu’en 2020. De quoi donner le temps de reconvertir progressivement l’exploitation agricole vers le tourisme.

Un vote de désespoir

Une large partie des agriculteurs britanniques ont voté pour le Brexit. D’un côté se trouvent de très grandes fermes, qui appartiennent souvent à des familles aristocrates, à commencer par le prince Charles. Nombre d’entre elles sont politiquement très conservatrices et allergiques à la présence de Bruxelles dans leurs affaires. De l’autre côté, beaucoup de petites exploitations peinent à s’en sortir. Pour elles, le Brexit était un vote de désespoir.

Pour autant, les agriculteurs britanniques ne sont pas suicidaires et craignent les répercussions de la sortie de l’UE. Les produits agricoles sont parmi ceux les plus protégés commercialement par l’ensemble européen. Dans le pire des scénarios, si le Royaume-Uni se retrouvait simple membre de l’Organisation mondiale du commerce, les droits de douane atteindraient 45 % sur la viande, 39 % sur le sucre, 28 % sur les produits laitiers…

Le National Farmers Union (NFU), l’organisme représentant les agriculteurs, demande donc que le gouvernement britannique fasse de l’agriculture une priorité. Objectif : trouver un accord de libre-échange avec l’UE, sans droits de douane, sur les produits agricoles. Le NFU demande aussi un système d’immigration facilité pour les travailleurs saisonniers.

Mais politiquement, les agriculteurs britanniques ne sont guère audibles. En février, Liam Fox, le ministre du commerce international, avait été interpellé sur les dangers d’un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande pour les éleveurs d’agneaux. Il avait balayé d’un revers de la main l’argument, répliquant : « Il faut aussi prendre en compte l’intérêt des consommateurs britanniques. » Le risque pour l’agriculture britannique est d’être la grande oubliée des négociations du Brexit.