Raphaël Cherrier, fondateur et président de Qucit, basée à Bègles. | DR

Une start-up n’a pas absolument besoin de se nicher à Paris pour prendre son envol, déployer ses ailes et envisager de vastes horizons. Créée en 2014 à Bordeaux et installée depuis 2015 dans sa banlieue sud, à Bègles, Qucit - pour Quantified Cities, villes quantifiées – en est la preuve.

Cette jeune pousse spécialisée dans les applications prédictives et les logiciels destinés à faciliter la mobilité urbaine doit beaucoup aux appétences et compétences de son fondateur. Raphaël Cherrier, 39 ans, diplômé de Normale Sup et docteur en physique théorique, désirait allier sa passion pour « tout mathématiser afin de comprendre l’univers » - avec sa volonté d’être utile à sa ville, de la rendre plus durable et agréable. Sa pratique du VCub, le vélo en libre-service lancé en 2010 à Bordeaux lui a fourni un atout supplémentaire.

A partir d’un jeu de données que lui a confié Keolis, l’exploitant du VCub, Raphäel Cherrier a conçu en 2014 une première application, baptisée BikePredict. Elle permet aux usagers bordelais (2,6 millions d’emprunts en 2016) de connaître, en temps réel, la disponibilité de ces deux roues à chaque station (174 actuellement) et à l’exploitant de veiller à leur réassortiment et même de le planifier, en fonction de données de plus en plus précises et variées.

« Cette application est aujourd’hui d’une incroyable fidélité puisqu’elle dépasse les 90 % », commente Paul Chaperon, directeur marketing de Keolis à Bordeaux. BikePredict vient de remporter un appel d’offres à Dijon et intéresse plusieurs autres villes françaises ainsi que Londres, où les pourparlers se sont toutefois compliqués avec un changement de municipalité et le Brexit. L’outil est par ailleurs actuellement testé dans le laboratoire de Vianavigo (itinéraires pour les déplacements en transports publics en Ile-de-France) pour y inclure le Vélib.

Bus, trams et autoroutes

Car Qucit a élargi ses activités vers les transports en commun. Ses experts ont été invités à prévoir les taux de fréquentation du réseau de Keolis à Bordeaux (3 lignes de tram et 78 lignes de bus). Les outils développés, pour l’usager et les transporteurs, seront proposés lorsque la future carte TBM (équivalent bordelais de Navigo), développée par Thales, sera lancée, très prochainement.

Après le vélo et la route, l’autoroute. Exploitant d’un tronçon d’une centaine de kilomètres entre Bordeaux et Bayonne, la société Egis (ingénierie des transports notamment) a confié à Qucit, après un appel d’offres, deux années de données sur les accidents, les bouchons, les animaux errants et les conducteurs roulant à contresens. Qucit en a tiré un modèle prédictif intégrant d’autres paramètres (météo, ponts, virages, congés, etc.), afin d’aider Egis à mieux déployer ses équipes d’intervention. « Le logiciel est prêt, nous sommes en phase de test, pour valider ou écarter chaque paramètre », dit Richard Lengrand, directeur de Egis Exploitation Aquitaine.

Mesurer les émotions en ville

Qucit a enfin développé un outil pour mesurer l’impact des aménagements réalisés par les villes sur les émotions ressenties par les piétons : le confort, le stress, le sentiment de sécurité ou de désorientation et leurs causes. Cet outil, baptisé ComfortPredict, a été en 2016 l’un des six lauréats des challenges lancés par la Ville de Paris et Numa (réseau d’accompagnement des start-up dans leur développement). Il est actuellement utilisé pour déterminer, en collaboration avec la société Cisco, un indice de confort avant et après le réaménagement, prévu jusqu’en mai, de la Place de la Nation à Paris. « Nous co-construisons ensemble ces nouveaux indicateurs », précise Sabine Romon, responsable de la mission « ville intelligente » au secrétariat général de la Ville de Paris. Le même indice a été décliné pour améliorer le confort des gares, dans le cadre d’un projet pilote dans celle de Aix-TGV.

Qucit comptait neuf salariés en avril 2016 lorsqu’elle a reçu le prix de la mobilité Le Monde Smart Cities. Ils sont maintenant quinze à Bègles, dont 10 à plein-temps, parmi lesquels des docteurs en sciences, des ingénieurs de haut vol dans la science de la donnée et des développeurs. En 2014, une première levée de fonds avait permis à Raphaël Cherrier de réunir 600 000 euros. Il vit sans trop d’angoisse la deuxième qu’il vient d’engager auprès d’investisseurs privés, les yeux rivés sur la mise au point d’une plate-forme prédictive destinée à optimiser tous les services urbains.