Film sur Arte à 20 h 55

Le Havre d'Aki Kaurismäki - Bande-Annonce
Durée : 01:41

Le ciel est bleu gris, la mer est bleu gris, les murs sont bleu gris… Cette couleur froide et triste sature Le Havre, le film d’Aki Kaurismäki. C’est celle du blues européen. Le blues froid de Maastricht, triste chant d’une puissance passée qui investit ses dernières réserves d’énergie dans les barricades le long de ses frontières.

Ce bleu gris, c’est Le Havre, ville portuaire française, ouverte aux quatre vents, bombardée pendant la guerre et refaçonnée dans les années 1950 par la vision bétonnée d’Auguste Perret. Ville punk dont on se dit qu’elle ne pouvait que taper dans l’œil du plus rock des cinéastes européens.

Présence douce et improbable

Rien d’étonnant, donc, à ce que, sur place, son chemin ait croisé celui de Little Bob, figure de la scène musicale locale qui enflamma, dans les années 1970, la jeunesse énervée des deux côtés de la Manche. Kaurismäki l’a invité à jouer son propre personnage, un rôle périphérique qui illumine pourtant le film entier de sa présence douce et improbable.

Entre les extérieurs étranges et les intérieurs décorés dans un style années 1950, on suit le parcours d’un vieux cireur de chaussures (magnifique André Wilms), qui prend sous son aile un jeune réfugié africain et l’aide à fuir vers l’Angleterre. Pour le vieil homme, c’est l’histoire d’un réveil.

Drôle de film, à la fois lucide et désuet, trempé dans le formol et ouvert sur le monde, cruel et généreux, pitoyable et attachant. La ville imaginaire que le cinéaste construit au Havre brasse les époques : celle d’un petit monde fossilisé de vieux commerçants à la peau uniformément blanche, et celle d’un avenir plein de promesses, incarnée par Idrissa Mahamat-Saleh, le jeune Africain qui débarque d’un conteneur.

Dans ce monde de vieux Blancs, la jeunesse et la couleur de peau d’Idrissa essentialisent sa différence en produisant un effet bizarre, mais qui se justifie dans le cadre du conte qui est celui du film. Car, si le réel et la politique y font une incursion, à travers la diffusion d’une vidéo sur la destruction des jungles de Calais, Le Havre relève moins de la fiction de gauche que d’une fable racontant un passage de relais entre un vieux rocker serein pétri d’humanisme et le monde de demain, aussi glorieux qu’incertain.

Le Havre, d’Aki Kaurismäki. Avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin (Fr.-All.-Fin., 2011, 90 min).