Michel Platini le 25 août à Lausanne. | ALAIN GROSCLAUDE / AFP

Tel un souverain déchu, Michel Platini ira donc à Athènes pour rendre sa couronne, mercredi 14 septembre, lors de l’élection de son successeur. Dans un court discours, l’ex-numéro 10 des Bleus, 61 ans, annoncera officiellement sa démission et fera ses adieux aux représentants des 55 fédérations membres de l’Union des associations européennes de football (UEFA).

Le trône de « Platoche », dirigeant débonnaire et inventif de la confédération ­depuis 2007, est resté vide depuis le 8 octobre 2015. Ce jour-là, le comité d’éthique de la Fédération internationale de football (FIFA) a suspendu provisoirement le triple Ballon d’or (de 1983 à 1985) pour un versement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) qu’il avait reçu, en février 2011, du Suisse Joseph Blatter, alors dirigeant de l’instance planétaire.

Selon le parquet helvétique, ce paiement a été effectué « prétendument » pour des travaux réalisés par le Français lorsqu’il officiait, entre 1999 et 2002, comme conseiller du ­patron du foot mondial.

En décembre 2015, cette affaire a valu à l’ex-stratège de la Juventus Turin d’être radié huit ans par ledit comité d’éthique. Une peine allégée toutefois de deux ans, « au regard des services rendus au football », par la commission des ­recours de la FIFA, le 24 février.

Le 9 mai, la confirmation de la suspension de Platini – réduite à quatre ans – par le Tribunal arbitral du sport (TAS) a ouvert de fait sa succession à la tête de l’UEFA. Le scrutin du 14 septembre est d’ailleurs ­attendu avec soulagement par les dignitaires de l’organisation, confrontée ­durant près d’un an à une vacance du pouvoir ankylosante.

Cette période fut d’autant plus délicate que l’ex-secrétaire général de la confédération (2009-2016), le Suisse Gianni Infantino, a été élu à la présidence de la FIFA, le 26 février, et a été dans le même temps remplacé, en mars, à l’UEFA par le Grec Théodore Theodoridis.

« Cela a tenu jusque-là mais il est temps d’avoir un patron, confiait en juin, avant l’Euro 2016 dans l’Hexagone, Florence Hardouin, directrice générale de la Fédération française de football (FFF) et membre du comité exécutif de l’UEFA. Pour la suite, il y a des décisions à prendre par rapport à la Ligue des champions, à la commercialisation des droits des décisions stratégiques. Et pour ça, il faut un président. »

Platini présent à Athènes

« Après neuf ans de présidence de Platini, cette élection sera importante, renchérit l’Italien Giancarlo Abete, troisième vice-président de l’UEFA. Elle marquera le redémarrage de l’UEFA et fournira des éclaircissements sur le rôle que l’instance entend jouer dans les prochaines années ainsi que sur ses objectifs. »

Tenu à une forme de neutralité, Platini sera donc aux premières loges pour assister à l’intronisation de son successeur, appelé à terminer son mandat, qui expire en mars 2019. L’ex-star des terrains sera d’ailleurs l’invité d’honneur de son ancienne organisation. L’UEFA a obtenu l’autorisation préalable du comité d’éthique de la FIFA quant à la venue de « Platoche » au conclave d’Athènes.

Au siège de l’UEFA, à Nyon (Suisse), en 2014. | URS LINDT /FRESHFOCUS/PRESSE SPORTS

Ce 12e congrès extraordinaire de l’UEFA devra départager deux candidats : le Slovène Aleksander Ceferin, 48 ans, et le Néerlandais Michael van Praag, de vingt ans son aîné.

Un troisième prétendant a déclaré forfait, le 6 septembre. Il s’agit de l’Espagnol Angel Maria Villar Llona, vieux briscard de l’échiquier politique du ballon rond. En manque de soutien, il a préféré briguer un huitième mandat à la tête de la fédération de son pays, qu’il ­dirige d’une main de fer depuis 1988. Premier vice-président de l’UEFA, le Basque de 66 ans avait remplacé Platini, sur le plan protocolaire, durant l’Euro 2016. Membre du comité exécutif depuis 1992, M. Villar était loin d’incarner le renouveau de la confédération. D’autant qu’il a été sous le coup d’une procédure du ­comité d’éthique de la FIFA.

En novembre 2015, cet apparatchik diplomate et élégant s’est, en effet, vu infliger une amende de 25 000 francs suisses (23 150 euros) ainsi qu’un avertissement. L’Espagnol a été sanctionné pour ne pas avoir apporté tout le concours nécessaire à l’enquête interne de l’ex-procureur américain Michael Garcia sur l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar.

« Visage nouveau »

Ce retrait a fait un heureux : Aleksander Ceferin, patron de la fédération slovène depuis 2011, considéré comme le favori du scrutin et dont la campagne a débuté le 8 juin. A 48 ans, cet avocat ­polyglotte bénéficie notamment de l’appui des pays nordiques, de l’Italie, de la Turquie, de la Russie, de l’Allemagne et de la France. Inconnu du grand public, il se prévaut d’« un large et écrasant soutien de fédérations nationales qui veulent voir un visage nouveau, une nouvelle approche, une énergie et des idées nouvelles, du sang frais ».

Aleksandar Ceferin. | ALES BENO / ANADOLU AGENCY

Le brillant juriste, qui se défend d’être le « candidat des petites fédérations de l’Est », a axé sa campagne sur la transparence et souhaite introduire des limites de mandat pour le président de l’UEFA et les membres du comité exécutif. « Si vous êtes au sommet de l’organisation sur une longue période, vous commencez à confondre l’organisation avec vous-même. Après vingt ans à un poste-clé, la frontière entre ce que vous êtes et ce qu’est l’organisation devient floue », insiste-t-il.

Désireux de constituer un comité d’audit, sur le modèle de celui de la FIFA, Ceferin souhaite « mettre davantage ­l’accent sur le football féminin, la sécurité et l’intégrité, protéger le jeu, lutter contre les pratiques malveillantes comme le ­dopage et les paris illégaux, conduire l’UEFA vers davantage d’égalité entre les riches et les pauvres ». Zélateur de Michel Platini, le Slovène ne « tourne pas le dos aux bonnes choses qu’il a faites pour le football européen », notamment en ­faveur des pays de l’Est.

Instaurer une limite des mandats

Le favori ne donne pas l’impression de regretter l’absence de tout débat avec son concurrent néerlandais avant le congrès d’Athènes. « Cela n’a pas beaucoup de sens, je suis focalisé sur ma campagne », balaye le quadragénaire, d’ores et déjà annoncé comme le septième président de l’UEFA.

A contrario, son adversaire, Michael van Praag, aurait « aimé » ­confronter ses idées et propositions avec les siennes. Premier à s’être lancé dans la course à la succession de Platini, le 18 mai, le sexagénaire au crâne glabre rappelle, entre deux formules de politesse, son glorieux passé à la présidence du club de l’Ajax Amsterdam (1989-2003), avec lequel il remporta la Ligue des champions en 1995.

Patron de la fédération néerlandaise depuis 2008, deuxième vice-président de l’UEFA, van Praag déroule volontiers son CV à rallonge pour mieux souligner l’inexpérience de son rival. Dirigeant ­affable et charismatique, le Batave avait crevé l’écran, à Sao Paulo (Brésil), en juin 2014, en priant Joseph Blatter, alors âgé de 78 ans, de ne pas briguer un cinquième mandat à la tête de la FIFA. ­L’ex-numéro 1 de l’Ajax s’était d’ailleurs présenté contre le patriarche suisse avant de se ranger, en mai 2015, derrière la candidature du prince jordanien Ali Ben Al-Hussein.

Michael van Praag. | ROBIN VAN LONKHUIJSEN / AFP

« Compte tenu des problèmes politiques auxquels nous devons faire face, notamment avec Bruxelles et l’Union européenne, et des besoins accrus des petits pays en matière d’assistance financière, l’UEFA a besoin de quelqu’un d’expérimenté, notamment dans le domaine des affaires, et qui sait diriger une organisation avec 300 ou 400 personnes », assure van Praag, qui est notamment soutenu par l’Angleterre, laquelle s’érige en gardienne du temple. Favorable à l’instauration d’une limite de mandats (douze ans) et d’âge (75 ans) pour les dirigeants de l’UEFA, le Néerlandais se pose en ­réformateur et en partisan résolu de ­l’arbitrage vidéo.

Réduction des coûts

Van Praag souhaite relever à dix-huit ans (contre seize actuellement) l’âge légal des joueurs transférés et réévaluer le fair-play financier – réforme phare de Platini – en vertu duquel les clubs ne doivent pas dépenser plus qu’ils ne gagnent sous peine de sanctions.

En gestionnaire sourcilleux, le candidat veut effectuer un « audit financier de l’UEFA », prône « une réduction des coûts » tout en pointant les « dettes » de l’organisation, qui a réalisé 830 millions d’euros de bénéfices au terme de l’Euro 2016. « L’argent de l’UEFA appartient aux fédérations nationales », clame van Praag, qui prévoit de « créer un fonds pour les infrastructures financé par la réduction des coûts ».

Pour renforcer son image de progressiste, il s’offusque par ailleurs du manque de transparence au sein de la confédération. « Chaque fédération est un ­actionnaire de l’UEFA et devrait savoir ce qu’il se passe, considère le Néerlandais. Pourquoi garde-t-on secrets les échanges au comité exécutif ? Quel est le salaire du président de l’UEFA ? Combien gagnent les membres du comité exécutif ? Je pense que l’UEFA devrait être plus ouverte et proche des médias. J’ai parfois le sentiment que c’est une maison fermée. »

Jusqu’ici feutrée, la campagne s’est animée, le 5 septembre, à la suite de la publication d’une enquête sur les liens troubles entre Ceferin et Gianni Infantino dans le magazine norvégien Josimar. Il y est détaillé comment le président de la FIFA s’activerait, dans l’ombre, pour faire élire le Slovène à la tête de l’UEFA.

Censé rester à l’écart de cette ­bataille politique, le patron du foot mondial aurait orchestré en sous-main le lancement de campagne de Ceferin par l’entremise du Norvégien Kjetil Siem, devenu son « directeur de la stratégie » à la FIFA. Cet intermédiaire aurait ainsi œuvré, fin mai, pour que les pays nordiques se rangent derrière le candidat. En retour, les dirigeants scandinaves auraient reçu la promesse de se voir ­confier l’organisation de l’Euro 2024 ou de l’édition 2028. En outre, Karl-Erik Nilsson, patron de la fédération suédoise, aurait obtenu un poste de vice-président de l’UEFA en échange de son soutien au jeune avocat.

Collusion d’intérêts

Selon le magazine Josimar, Ceferin aurait par ailleurs suggéré à Gianni ­Infantino de nommer, le 6 juillet, son compatriote et ami Tomaz Vesel à la tête du comité d’audit et de conformité de la FIFA. Patron de la Cour des comptes de la République de Slovénie, Vesel a ainsi succédé à l’Italo-Suisse Domenico Scala, en conflit avec Infantino et démissionnaire le 14 mai.

Cette collusion d’intérêts est d’autant plus troublante que Vesel a été depuis amené à fixer, le 31 août, le montant du salaire du président de la FIFA (1,5 million de francs suisses annuels, soit 1,36 million d’euros), régularisant ainsi sa situation contractuelle. Cette ­décision a mis un terme à une affaire qui avait miné les six premiers mois du ­règne d’Infantino.

S’il a reçu, en mai, le patron du football mondial lors de l’inauguration du nouveau centre d’entraînement de la fédération slovène, Ceferin refuse d’être considéré comme sa marionnette. « Les gens qui ne veulent pas me voir devenir président fabriquent des histoires chaque jour. Ils disent, un jour, que je suis juste un ­candidat des petites fédérations ; un autre jour, que je suis le candidat des pays de l’Est ; un autre jour, le candidat de Platini puis le candidat d’Infantino… Je suis indépendant, croyez-moi, jure, la main sur le cœur, le quadragénaire. Je serais heureux d’avoir le soutien de M. Infantino, mais il ne veut pas interférer dans l’élection et ne soutient personne. »

Cette version des faits ne convainc pas l’un des anciens collaborateurs du patron de la FIFA. « Infantino a intérêt à ce que Ceferin soit élu, pour maintenir l’UEFA sous contrôle. Ceferin sera un président faible dans les mains de la FIFA, décrypte, sous couvert d’anonymat, cet observateur avisé. Une victoire de van Praag, qui ne s’entend pas très bien avec Infantino, creuserait le gouffre entre l’UEFA et la FIFA. »

Hermétiques au brouhaha politique et autres intrigues de campagne, les dirigeants de la confédération européenne abordent le scrutin avec flegme. « Cette élection est importante pour l’UEFA, qui reste solide. Les deux candidats sont pour une évolution mais aussi pour une continuité », sourit le Slovaque Frantisek Laurinec, membre du comité exécutif de l’UEFA, qui s’apprête, avec une pointe de nostalgie mais sans états d’âme, à tourner la page Platini.