Après que la cour d’assises d’Abidjan a acquitté, mardi, l’ex-première dame Simone Gbagbo des chefs de « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » lors de la crise post-électorale de 2010-2011, les défenseurs des droits de l’homme ont dénoncé, mercredi 29 mars, un procès « entaché d’irrégularités », les victimes évoquant une « prime à l’impunité ».

Les partisans de Mme Gbagbo, qui ont longtemps dénoncé un procès politique et une justice instrumentalisée, y ont de leur côté vu un geste « vers la réconciliation » en Côte d’Ivoire, marquée par ces cinq mois de crise qui avait fait 3 000 morts à l’issue de dix ans de crise politico-militaire.

« Un véritable fiasco »

« C’est une prime supplémentaire à l’impunité. Cet acte grave fait de nous de potentielles victimes de demain, s’est insurgé Issiaka Diaby, président du Collectif des victimes en Côte d’Ivoire. Les parents des victimes attendaient cette condamnation pour faire le deuil de leurs proches disparus ou assassinés. »

Human Rights Watch (HRW) a critiqué un « procès entaché d’irrégularités » qui « met en évidence » l’importance de la Cour pénale internationale (CPI) comme « voie de recours pour les victimes ». En 2012, la CPI avait en effet émis un mandat d’arrêt contre Mme Gbagbo : une procédure qui reste ouverte malgré le refus du président ivoirien, Alassane Ouattara, de transférer l’intéressée à la justice internationale pour la juger à Abidjan. « L’enquête peu approfondie et les preuves ténues présentées lors de son procès soulignent l’importance de l’affaire en cours contre Simone Gbagbo à la CPI pour des crimes similaires », a souligné l’ONG de défense des droits de l’homme.

« Ce procès a été un véritable fiasco tant sur la forme […] que sur le fond », ont de leur côté déploré, dans un communiqué conjoint, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho) et le Mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH). « La Côte d’Ivoire ne pourra pas faire l’économie de la justice sans mettre en péril sa stabilité à moyen terme. Les autorités judiciaires doivent donc tirer les leçons de ce nouvel échec », ont estimé ces ONG.

Entrecoupé de nombreuses suspensions et émaillé d’incidents de procédure et d’ajournements depuis son ouverture, le 31 mai 2016, le procès a été marqué fin novembre par le retrait de la défense de Mme Gbagbo, remplacée par des avocats commis d’office qui n’ont cessé de dénoncer, à leur tour, les atteintes aux droits de la défense. Mme Gbagbo elle-même avait refusé de comparaître, depuis fin novembre, pour dénoncer un procès qu’elle jugeait inéquitable.

Soulagement au FPI

L’acquittement de Mme Gbagbo – qui purge déjà une peine de vingt ans de prison, prononcée en 2015, pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » – a en revanche été accueilli avec « soulagement » par ses partisans. Le Front populaire ivoirien (FPI), parti créé par l’ex-président Laurent Gbagbo, s’est félicité de cette décision, l’interprétant comme « une volonté d’aller à la réconciliation ». « Nous souhaitons et attendons que les autres prisonniers politiques soient remis en liberté », a déclaré à l’AFP le chef du FPI, Pascal Affi N’Guessan.

Tout en dénonçant lui aussi un procès « bâclé », Ange Rodrigue Dadjé, l’un des avocats de Mme Gbagbo jusqu’à leur retrait, a salué « le courage des magistrats de la cour d’assises et des jurés, qui ont prononcé une décision historique dans un environnement où le politique fait souvent pression sur le judiciaire ». Pour M. Dadjé, « ce procès a été bâclé depuis l’instruction, car la justice n’a jamais voulu entendre les vrais acteurs, notamment certains responsables politiques actuellement aux affaires aujourd’hui ».

Mme Gbagbo, 67 ans, était jugée depuis le 31 mai 2016 pour son implication présumée dans des tirs d’obus sur le marché d’Abobo, un quartier d’Abidjan favorable à Alassane Ouattara – rival de son mari, Laurent Gbagbo, à la présidentielle de novembre 2010 – et pour sa participation à une cellule qui organisait des attaques menées par des milices et des militaires proches du régime. Ces crimes ont été commis lors de la crise née du refus de M. Gbagbo de reconnaître la victoire électorale de M. Ouattara à la présidentielle. Laurent Gbagbo est jugé de son côté par la CPI, à La Haye, pour des crimes contre l’humanité commis pendant cette même crise de 2010-2011.