Les bâtiments vitrés de l’UTEC Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne) abritent des formations allant du bac pro au master pro. | Wikimedia Commons

A quelques encablures de Disneyland, en Seine-et-Marne, les bâtiments vitrés de l’UTEC Marne-la-Vallée abritent des formations allant du bac pro au master pro. Deux jeunes filles consultent les classeurs du Centre de documentation et d’information jeunesse (CIDJ) dans le vaste hall dédié à l’orientation, mais Alexandra Denoux se fie à une autre boule de cristal : « Le choix de mon avenir va dépendre de mon entreprise », assure cette apprentie d’un hôtel de Disney Village. Son employeur a déjà validé son souhait de continuer en licence professionnelle. Il tranchera aussi pour la suite.

Courtisé par cinq sociétés

Même discours de la part d’Estelle Pelletier, pimpante étudiante en commerce, en alternance dans une boutique du parc d’attractions : « Si j’avais le choix, j’irais jusqu’au master. Mais je verrai ce que dira mon entreprise, parce que je souhaite rester à Disney », assure-t-elle avant de filer déjeuner.

Le campus est très lié aux sociétés du parc, ainsi qu’à un centre commercial voisin, dont les magasins absorbent de nombreux apprentis. Des entreprises suffisamment grandes pour que les étudiants y gagnent en compétences… et pour assumer les hausses de salaire qui en découlent. « Nous avons 74 % d’insertion professionnelle six mois après le diplôme, se félicite Laétitia Chilloux, responsable des relations entreprises. On invite bien sûr les étudiants à continuer dans nos licences ou masters, même si une belle opportunité ne se refuse pas. »

Baptiste Heusèle fait partie de ceux qui ont saisi la balle au bond. Formé en génie des équipements agricoles dans le sud du département, il imaginait faire une année de spécialisation. « Mais mon patron actuel est venu me cueillir à la sortie de l’école, il avait besoin d’un technico-commercial, raconte-t-il. J’ai bien fait d’accepter, un an après il y avait moins d’opportunités à cause d’une moisson catastrophique. »

Aspiration des élèves

Le contexte familial aussi a joué : ses parents, agriculteurs, sont tous deux titulaires d’un BTS, et une de ses sœurs a travaillé directement après son bac + 2. « Des BTS, on n’a que ça dans la famille ! Pourquoi perdre plus de temps et être déçu ? », questionne le jeune homme.

Mais dans cette région rurale, où les études longues étaient rares il y a seulement une génération, le modèle familial sert parfois de repoussoir. Ainsi Alexandra, l’étudiante en hôtellerie : « Je veux me donner les moyens de faire ce que je veux. Mes parents ont travaillé tôt et se sont retrouvés bloqués, sans possibilité d’évolution. »

Dans cet entrelacs de raisonnements pragmatico-familiaux subsiste heureusement un espace pour les aspirations des élèves. Maëva Abanda M’Fomo ne supportait plus d’être « assise sur une chaise depuis le CP ». Un poste de chargée de communication se présente juste après son BTS d’assistante de manager. Elle saute sur l’occasion.

« La licence pro dans mon ­domaine c’est beaucoup de paperasse, de gestion. J’ai arrêté parce que j’aime bouger, toucher les machines ! »
Rémi Meyer, en BTS de maintenance des engins de travaux publics

Rémi Meyer, lui, en BTS de maintenance des engins de travaux publics dans la ­petite ville de Coulommiers (Seine-et-Marne), s’était laissé convaincre par son maître de stage d’aller au-delà du BTS. « Il dit que le diplôme ne vaut plus autant qu’avant, rapporte le jeune homme de 22 ans. Mais la licence pro dans mon ­domaine c’est beaucoup de paperasse, de gestion. J’ai arrêté parce que j’aime bouger, toucher les machines ! » Courtisé par cinq sociétés après son diplôme, il a choisi la mieux offrante, Caterpillar. Et économise désormais pour s’acheter un logement.

Quid des enseignants et personnels pédagogiques ? Sont-ils relégués au rang de figurants dans l’orientation de leurs élèves ? Beaucoup d’étudiants minimisent leur rôle. « Les profs nous vendent du rêve : 3 000 euros à la sortie du BTS. Mais c’est un salaire qu’on ­atteint avec dix ans d’expérience ! Mieux vaut se renseigner dans les entreprises », assure Rémi Meyer.

Hadja Souaré, elle, s’est sentie trop peu accompagnée au moment de s’inscrire en licence pro, après son BTS d’assistante manager. « Il faut de très bonnes notes et j’étais trop concentrée sur les examens pour envoyer le dossier dans les temps », déplore-t-elle. D’abord salariée en intérim, elle suit aujourd’hui une formation via Pôle emploi pour travailler dans les aéroports.

« Tu peux te faire une belle place »

Pourtant, l’UTEC Marne-la-Vallée revendique le rôle des équipes pédagogiques. Ne serait-ce que pour élaborer le contrat d’alternance qui correspondra aux ambitions de chaque étudiant. Ou pour leur révéler des possibilités méconnues, comme à Alexandre Gohier, jeune pâtissier à la barbe et aux yeux clairs, qui se rêve en patron de salons de thé.

« J’aimerais continuer en master après ma licence pro en restauration commerciale, mais je serai un peu vieux pour l’alternance, regrette-t-il auprès de Laétitia Chilloux. « Non, le contrat d’apprentissage va jusqu’à 30 ans maintenant [dans sept régions pilotes, depuis janvier], assure la responsable. Et sinon nous accompagnons ce genre d’initiatives par la formation ­continue, avec du merchandising, du management… » L’aspirant PDG soupire de soulagement : « OK, c’est une bonne nouvelle. Je ferai plutôt ça qu’un master, pour monter mon projet plus rapidement. »

D’autres enseignants se voient comme des garde-fous. « Les étudiants étaient fascinés par les écoles de commerce, quitte à se mettre en danger financièrement, témoigne une ancienne prof de BTS commerce international. Je leur disais : “Tu peux te faire une belle place en entreprise, elles ont du mal à recruter des bac + 2 !” » Mais beaucoup se sentaient trop jeunes pour travailler, ou cédaient aux chants de sirènes des écoles privées. « Ça coûte cher, mais de quel droit les empêcher de continuer ? En France, le niveau de diplôme bloque souvent l’évolution des tâches et du salaire », déplore la professeure.

Poursuivre après un BTS ? Arrêter ? Il faut en tout cas être sûr de son métier. Manon Louis a abandonné en début de ­licence professionnelle, après deux ans d’économie sociale et familiale. « J’avais choisi ce BTS un peu par défaut… J’aurais dû changer dès la première année », assure-t-elle. Elle pense laisser tomber les études technologiques pour les bancs de l’université.