Un conte rétro

« Les Choristes », mis en scène par Christophe Barratier, aux Folies Bergère jusqu’au 18 juin. | CYRIL MOREAU / BESTIMAGE

Oscars 2005. Sur scène, Beyoncé chante Vois sur ton chemin, carton planétaire issu de la BO des Choristes. Le film de Christophe Barratier vient d’exploser le box-office : quelque 9 millions de spectateurs en France pour un long-métrage vendu dans 50 pays. Douze ans plus tard, c’est aux Folies-Bergère, à Paris, que le pion Clément Mathieu, compositeur raté, initie à la musique les enfants « récalcitrants » d’un internat de l’après-guerre, en cachette d’un directeur brutal et borné.

Beyoncé - Vois sur ton chemin (Oscars 2005)
Durée : 02:49

Pour tous les parents lassés des spectacles de Oui-Oui, Peppa Pig et autres Holiday on Ice, Les Choristes est l’occasion parfaite d’amener sa marmaille au théâtre sans risquer de les voir s’attaquer au tissu des accoudoirs au bout de vingt minutes. Le théâtre des Folies-Bergère est une salle mythique qui les enchantera. L’odeur du velours rouge des strapontins, le spectre de la Belle Otero dansant sous le lustre géant, le tintement du verre de Maupassant accoudé au bar… Le lieu, baroque et flamboyant, est à lui seul une invitation à la rêverie.

Flanquée de bottines à lacets et de chandails tricotés main, la jeune troupe forme un curieux mélange entre La Petite Fille aux allumettes et Princesse Sarah, Gavroche et Les Petites Canailles. Une ribambelle de références à exploiter, et peut-être même des vocations à susciter. Sur scène, les enfants détonnent, gouailleurs et impétueux (Victor le Blond, alias Mondain, vaut à lui seul le déplacement). Et pour qui ne met jamais un pied à la messe (ou rate chaque année les soirées de Noël de TF1), la performance de cette jeune chorale touchée par la grâce apporte un peu de réconfort à nos âmes chahutées.

La pièce permet aussi de se remémorer ce temps pas si lointain où la France comptait près d’un million d’orphelins, et où la maltraitance était une règle dans les « centres de rééducation » pour mineurs. L’occasion, aussi, d’une petite leçon de vie aux plus jeunes : la liberté, comme l’intégrité physique, n’a pas de prix. Une fois rentré au chaud, on ressort L’Enfant, de Jules Vallès, et Chasse à l’enfant, de Jacques Prévert, histoire d’enfoncer le clou. Allez, bonne nuit, les petits…

Un mélo réac

« Les Choristes », sorti en 2004 | Pathé distribution

Suivant l’adage que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures daubes, tous les producteurs parisiens semblent s’être donné le mot. « Et si on adaptait ce carton au théâtre, coco ? » Après Mamma Mia ! et Les Misérables, voici La Fièvre du samedi soir, Priscilla, folle du désert et Les Choristes – en attendant Bodyguard en 2018.

Revenons à nos barytons, enfin à nos sopranos plutôt. Dans la salle des Folies-Bergère, peu d’enfants, beaucoup de personnes âgées, des couples d’une quarantaine d’années, quelques collégiens. On rit quand un écolier chante Maréchal, nous voilà !, on hue le vilain directeur. A l’entracte, c’est la cohue au bar pour une coupe de champagne ou une bière, qu’on finit par vider dans les plantes vertes parce que vite, ça reprend. On repart de là avec un drôle de sentiment, un goût de France éternelle dans la bouche.

Il faut dire que le film est adapté de La Cage aux rossignols, sorti en septembre 1945. La France dévastée tente alors de se reconstruire autour d’une mémoire collective et officielle où la contestation n’a plus sa place. Le pion, charitable et humble, soutient les enfants mais ne remet jamais en question l’institution. En 2004, le surveillant Gérard Jugnot et le jeune Jean-Baptiste Maunier émeuvent la France entière. 2004, c’est aussi l’année où le FN reprend pied au Parlement européen. Jospin s’est retiré de la vie politique deux ans plus tôt. Le film fédère, il repose, il rassure. Les enfants sont certes turbulents, mais n’ont ni allergie ni religion, et ingurgitent leur roman national sans moufter.

2017, le spectacle est prolongé aux Folies-Bergère. Même cause, mêmes effets. Pour Christophe Barratier, interrogé sur RFM : « Clément Mathieu représente une nouvelle pédagogie. » En 1945, certainement. Au XXIe siècle, plus personne ne défend les châtiments corporels et le « dressage » par l’humiliation. Les Choristes répondent au contraire à une aspiration populaire, portée par nombre de candidats à la présidentielle : celle d’une plus grande sévérité, d’une discipline accrue. D’une uniformité qui balaie les origines aussi. Quoi de mieux pour gommer toute aspérité qu’une chorale qui chante au diapason ?

CLIP LES CHORISTES LE SPECTACLE MUSICAL - A PARTIR DU 23 FÉVRIER AUX FOLIES BERGERE ET EN TOURNEE
Durée : 02:25