Dans son fief bordelais, Alain Juppé fait preuve d’humour quand il s’agit de mentionner sa défaite à la primaire de la droite. « Il parait que je suis populaire en Afrique. Peut-être que j’aurais dû me présenter là-bas », plaisante le candidat malheureux. Lui qui avait promis « un partenariat d’égal à égal » avec l’Afrique s’il était élu président de la République en 2017, continue de faire vivre les relations franco-africaines à travers les Journées nationales des diasporas africaines (JNDA), organisées tous les ans depuis 2013 à l’hôtel de ville de Bordeaux.

Le samedi 1er avril, au lendemain d’une journée consacrée aux femmes des diasporas africaines, les JNDA ont organisé un colloque sur le thème du rôle des diasporas dans la vie politique française. A trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, des personnalités politiques africaines et françaises ont fait le déplacement à Bordeaux pour débattre des enjeux et des perspectives de cette « présence africaine » dans la politique. Moïse Katumbi, homme d’affaires et candidat à la présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), Fodé Sylla, ancien président de SOS Racisme, la sénatrice Leila Aïchi ou encore le sociologue Mar Fall étaient aux côtés d’Alain Juppé pour participer à cette matinée de réflexion.

Le débat s’est ouvert sur un constat : « Les citoyens français issus des diasporas africaines votent peu, alors que, dans le reste du monde, y compris en Afrique, on se bat pour avoir ce droit », a regretté Leila Aïchi, l’une des rares femmes présentes sur la scène du conseil municipal de Bordeaux malgré la leçon de parité donnée la veille. Vecteurs pourtant puissants du lien qui unit la France au continent africain, les diasporas africaines restent inaudibles. Pour Pierre de Gaétan Njikam Mouliom, adjoint au maire de Bordeaux et initiateur des JNDA, la rencontre vise justement à proposer des solutions pour enfin donner la parole à cette communauté qui ne trouve pas toujours sa place dans le débat politique français.

« Il y a une certaine timidité de la diaspora africaine à pénétrer dans la vie politique française, par crainte d’apparaître communautaire, affirme Henri Lopes, écrivain, diplomate et homme politique du Congo-Brazzaville. Pourtant, les diasporas africaines colorent ce pays. » Des propos nuancés par Alain Juppé : « La France est multiculturelle, colorée, tout cela est une richesse. Mais en même temps, le communautarisme signifie un repli sur soi, et ça, on n’en veut pas ! La France doit retrouver le bonheur du vivre-ensemble, mais nous devons être vigilants. »

« Nous sommes tous français »

Une question a néanmoins ravivé le débat : pourquoi la France a-t-elle si mal à sa diversité ? « Le principe de l’égalité est celui qui pose le plus de problèmes à la société française, analyse le sociologue d’origine sénégalaise Mar Fall. Le communautarisme est un épouvantail posé dans le débat. » Pour Fodé Sylla, ancien président de SOS Racisme et actuel ambassadeur itinérant du Sénégal, il ne faut pas parler de discrimination positive : « Un pays qui en vient à faire des CV anonymes et à parler de discrimination positive, cela fait réfléchir quand même. Première, deuxième ou troisième génération, on s’en fout ! Nous sommes tous français. »

« Si dix Blancs se réunissent, c’est une réunion. Dix Noirs, c’est du communautarisme »

Autour de la table ronde, une intervenante s’est démarquée. Mama Sy, 30 ans, adjointe à la jeunesse à la mairie d’Etampes (Essonne) et éducatrice spécialisée en Seine-Saint-Denis. Considérée comme un exemple d’« intégration réussie » dans sa commune, cette Française d’origine sénégalaise se méfie de la sémantique. « Je ne comprends pas que l’on parle d’assimilation alors qu’on est naturellement français. Si dix Blancs se réunissent, c’est une réunion. Dix Noirs, c’est du communautarisme. »

Mama Sy fait partie de cette minorité de jeunes issus des diasporas qui incarnent la diversité dans la sphère politique française. « J’ai voulu me politiser afin de casser le préjugé selon lequel il existe plusieurs France. Les médias parlent toujours de la diaspora comme d’un handicap. Il faut mettre en avant des exemples positifs. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’adjoints ou de maires issus des diasporas africaines, et il faut le noter. »

Malgré les témoignages positifs, la contribution des diasporas africaines dans la vie publique française reste timide. Et le débat sur l’intégration, sans fin. « Les rencontres officielles sur ce thème sont très rares. C’est important de savoir que, pour une fois, notre parole est entendue », souligne Alda, une institutrice d’origine cap-verdienne venue assister aux JNDA.

« Il faut rendre audible ce sujet politique de l’entre-deux qu’est la diaspora. La seule solution est d’arriver à donner un espace de parole publique à cette communauté en fragilité ici et ailleurs », conclut Pierre de Gaétan Njikam Mouliom. Curieux paradoxe : longtemps restées silencieuses, les diasporas africaines ont du mal à se faire entendre aussi bien en France que sur leur continent d’origine.