La communauté des experts travaillant pour le Conseil de sécurité des Nations unies vient de payer un lourd tribut avec la mort de Zaida Catalan, 36 ans, experte humanitaire, et Michael Sharp, 34 ans, expert sur les groupes armés et coordonnateur du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo (RDC). Leur décès, lors d’une mission dans la province du Kasaï-Central, a été confirmé, mercredi 29 mars, par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Trois de leurs accompagnateurs congolais sont toujours portés disparus, le quatrième ayant lui aussi été tué.

Menaces de mort, surveillances, arrestations et détentions illégales, expulsions… Malgré le statut que leur confèrent leur lettre de nomination (signée de la main du secrétaire général des Nations unies) et leur mandat (donné directement par le Conseil de sécurité), les experts chargés de veiller à la mise en œuvre des résolutions établissant les régimes de sanctions dans des pays en situation de conflit ou post-conflit – RDC, République centrafricaine, Libye, Soudan, Soudan du Sud, Somalie, Yémen – se retrouvent très souvent en première ligne face à la violence et l’arbitraire.

Zaida et Michael, comme la grande majorité de la soixantaine d’experts en activité et nombre de leurs prédécesseurs – du fait des conditions de travail, le turn-over est important dans la profession –, faisaient un travail difficile et risqué, évoluant la majeure partie du temps soit en zone de guerre, soit dans un contexte d’insécurité généralisée. Car il faut rencontrer, sur le terrain, l’ensemble des acteurs, aussi bien les victimes que leurs bourreaux, recueillir des témoignages, les recouper, pour documenter, comprendre, expliquer, analyser.

Etre factuel, indépendant, impartial. Se consacrer entièrement à l’établissement et à la vérification des faits, afin d’identifier les protagonistes de ces conflits atroces affectant des millions de personnes mais néanmoins oubliés, négligés, car situés dans la périphérie du monde globalisé.

Faire éclater la vérité

Les rapports d’enquête des experts, tous publiés sur le site internet de l’ONU en tant que documents officiels du Conseil de sécurité, fourmillent pour la plupart de témoignages détaillés, de documents, de photographies, d’observations relevées sur le terrain. Ces rapports, uniques en leur genre car combinant indépendance, expertise et légitimité du Conseil de sécurité, ont pour vocation de conduire à l’adoption de sanctions ciblées contre les principaux responsables de ces conflits, dans des régions où l’impunité est le plus souvent la règle.

Ainsi, le Groupe d’experts sur la RDC a aussi bien ciblé des personnalités congolaises que les pays limitrophes, pour leur soutien aux rébellions armées dans l’est du pays, et que certaines multinationales exploitant les ressources naturelles congolaises en contrepartie d’un soutien financier à des groupes armés. Malgré les intenses pressions diplomatiques et les campagnes de dénigrement, le groupe a joué un rôle primordial dans la compréhension par le Conseil de sécurité des défis et des dynamiques complexes de la RDC. Cette volonté de faire éclater la vérité, quelles qu’en soient les conséquences diplomatiques, a en outre parfois tendu les rapports entre le groupe et la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco).

Zaida, Michael. Dans ce monde en proie aux vérités alternatives, votre disparition est finalement une preuve de plus que vous étiez indispensables. Les Etats membres et le secrétariat général des Nations unies auront le devoir de suivre au plus près l’enquête sur les conditions et les responsabilités de ce double assassinat qui ne peut rester impuni – afin de ne pas laisser cette tâche aux seules autorités congolaises.

Et si demain l’on s’interroge sur la façon de mieux protéger les experts dans l’accomplissement de leur mission, notamment en créant pour eux un vrai statut répondant aux spécificités de leur mandat tout en préservant leur indépendance et leur liberté de mouvement, il faudra néanmoins absolument veiller à ne pas remettre en cause l’essentiel et continuer de recruter des profils comme ceux de Zaida et Michael, passionnés par leur métier et animés par l’idéal de justice et le désir de vérité.

Emilie Serralta, Savannah de Tessières et Aurélien Llorca sont d’anciens coordonnateurs de groupes d’experts, respectivement en RDC, en Libye et en République centrafricaine.