Le bâtiment du Congrès du Paraguay, à Asuncion, le 1er avril. | JORGE ADORNO / REUTERS

La situation continuait à être tendue, dimanche 2 avril, à Asuncion, la capitale paraguayenne, où des centaines de personnes se sont réunies devant le Parlement. Elles protestent contre le vote au Sénat d’une réforme de la Constitution permettant la réélection du président, ce qui n’est pas permis aujourd’hui. L’opposition est en effet attachée au mandat unique prévu par la Constitution de 1992, votée après le retour de la démocratie, pour empêcher que s’installe de nouveau une dictature comme celle du général Alfredo Stroessner (1954-1989), qui a été la plus longue d’Amérique du Sud.

Le chef de l’Etat paraguayen, Horacio Cartes, a ainsi appelé, dimanche, les députés de tous les partis politiques à participer à un dialogue, en présence d’un représentant de la Conférence épiscopale, pour résoudre la grave crise institutionnelle qui a fait un mort et une centaine de blessés dans la capitale dans la nuit du 31 mars au 1er avril. « Il n’y a pas d’image plus forte que celle de Paraguayens s’affrontant violemment entre eux », s’est lamenté M. Cartes, qualifiant les manifestants de « barbares ».

Réunion quasiment secrète

Plus de deux cents arrestations, l’édifice du Congrès saccagé et partiellement incendié, des vitres brisées, des carcasses de voitures brûlées : tel est le bilan de la nuit de durs affrontements entre la police et plusieurs centaines de manifestants dans la capitale, où le calme était revenu dimanche. Les restaurants et les boutiques ont rouvert leurs portes, mais d’autres manifestations sont prévues. « Plus jamais la dictature », scandaient les manifestants.

Une majorité de 25 sénateurs – sur 45 – venait d’approuver, au cours d’une réunion de dernière minute, quasiment secrète, le projet de loi controversé. Le vote de vendredi s’était déroulé dans des bureaux du Sénat, car la salle d’assemblée plénière était occupée par les sénateurs du Parti libéral radical authentique (PLRA), opposés à cet amendement de la Constitution.

A un an de l’élection présidentielle, le texte permettrait à Horacio Cartes, du parti Colorado (conservateur), au pouvoir depuis 2013, de briguer un nouveau mandat ; mais le permettrait aussi paradoxalement à son opposant Fernando Lugo (gauche), l’ex-président (2008-2012) et ancien évêque. Surnommé « l’évêque des pauvres », M. Lugo avait fait l’objet d’une destitution éclair, un an avant la fin de son mandat, suivie d’une cascade de scandales sexuels. Le président Cartes, l’un des entrepreneurs les plus riches du pays, a été éclaboussé par plusieurs affaires de corruption.

Un « coup parlementaire »

Les sénateurs d’opposition proches de l’ex-président Lugo ont approuvé la réforme, mais ceux du PLRA ont dénoncé un « coup parlementaire » et ont appelé à la « résistance ». « C’est un projet dictatorial de Horacio Cartes avec la complicité de Fernando Lugo », a affirmé le sénateur libéral Carlos Amarilla.

C’est le jeune président de la formation d’opposition Jeunesse libérale, affiliée au PLRA, Rodrigo Quintana, 25 ans, qui est mort dans la nuit de vendredi à samedi. Il a été tué d’un tir dans la tête par un policier, qui a été identifié et arrêté grâce à des caméras de sécurité. D’autres opposants libéraux ont été blessés par des balles en caoutchouc. Parmi eux, le président du Sénat, Roberto Acevedo, Efrain Alegre, le candidat libéral battu lors de la présidentielle de 2013, et le député Edgar Acosta. Ce dernier a dû être opéré, ayant été touché au visage à bout portant. Le ministre de l’intérieur, Tadeo Rojas, et le chef de la police, Crispulo Sotelo, ont été destitués.

La Chambre des députés, où le gouvernement dispose d’une large majorité, doit approuver à son tour la réforme de la Constitution. Ce vote, qui était prévu le 1er avril, a été reporté. « Nous ne pourrons pas voter ce samedi. Ce qui se passe est grave », a déclaré le président de la Chambre des députés, Hugo Velazquez (parti Colorado). En cas d’approbation par les deux chambres, le Tribunal supérieur électoral doit organiser un référendum dans un délai de trois mois.

Pauvreté extrême

Le président du Sénat, Roberto Acevedo, a qualifié « d’anticonstitutionnel » le vote du 31 mars et a appelé la Cour suprême à l’invalider. « Que les citoyens se prononcent sur la réélection par référendum, une minorité ne peut pas l’empêcher », a rétorqué la sénatrice Lilian Samaniego, présidente du Parti Colorado.

La grande majorité des 6,7 millions de Paraguayens vivent dans la pauvreté extrême. Cette explosion de violence s’est produite alors que se tient à Asuncion une assemblée de la Banque interaméricaine de développement (BID).