Editorial du « Monde ». La semaine dernière, la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, Léa Poplin, a prévenu les magistrats : inutile de lui envoyer des détenus, son établissement, saturé, est dans l’impossibilité physique d’en prendre un seul de plus. Ce mois-ci, le taux d’incarcération en France a atteint, une nouvelle fois, un record : 69 430 détenus. Avec une « densité carcérale » de 113,4 prisonniers pour 100 places de prison, qui frise les 200 % dans nombre d’établissements.

En décembre, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté – il n’y a que l’administration française pour inventer des noms pareils –, Adeline Hazan, dénonçait le traitement proprement « inhumain » des détenus à la maison d’arrêt de Fresnes (taux d’occupation de 193 %). Climat d’extrême violence, discipline brutale, tension permanente. Et prolifération des rats : « L’odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres s’ajoute à celle des amas d’ordures qui jonchent les pieds des bâtiments. » On est à 7 kilomètres de Paris, en 2017.

Laissons la morale de côté. Considérons les résultats. Ils sont nuls. L’impact de cette politique d’incarcération sans cesse en augmentation est marginal sur le taux de criminalité. Il est inexistant sur la récidive. Examinons les responsabilités publiques. En dépit des efforts des uns et des autres, surtout à gauche, on peut sans caricaturer parler d’un échec global de notre politique pénale et carcérale.

On peut dénoncer le climat de démagogie répressive qu’entretiennent nombre de dirigeants politiques, surtout à droite, pour répondre aux craintes, légitimes, des zones les plus défavorisées et les plus exposées au crime. Les magistrats, débordés, sous-équipés, ne peuvent pas ne pas y être sensibles : la détention avant jugement explose, tandis que les peines s’allongent. L’administration pénitentiaire – souvent compétente et courageuse – est abandonnée en première ligne. Son nouveau patron, Philippe Galli, à peine nommé, vient de claquer la porte.

Faire souffrir au-delà de l’enfermement

Sans doute faut-il construire plus de prisons en France, et la mesure figure dans la plupart des programmes des candidats à l’élection présidentielle. C’est urgent et cela relève du simple rattrapage démographique. Mais cela ne peut tenir lieu de politique pénale. Au moment où la France ne jure que par le « tout-prison », les pays d’Europe occidentale et les Etats-Unis s’engagent dans une politique de « moins de prison ». On libère des détenus, des Pays-Bas aux Etats-Unis. On réévalue l’impact de la prison sur le crime et on généralise les peines de substitution.

Notre taux d’incarcération (98,3 détenus pour 100 000 habitants) n’est inférieur à la moyenne européenne que parce que celle-ci inclut des pays qui emprisonnent en masse (la Russie et la Turquie). La vérité est plus brutale, telle que la décrivait le regretté Me Thierry Lévy : en France, la prison ne se limite pas à la privation de liberté. Dans notre entendement collectif, elle doit faire souffrir au-delà de l’enfermement.

Le prisonnier doit être mis à mal dans la chair et l’esprit – d’où les rats et l’entassement des corps en cellules surpeuplées. La prison ne consiste pas seulement à dissuader le crime et à éloigner des individus dangereux ou, éventuellement, à les réformer – ce qui est son objet légitime. Elle est l’instrument de la vengeance de la société. Elle doit faire mal. Par faiblesse, les politiques y consentent.