L’œuvre « From Here to Ear », de l’artiste-compositeur Céleste Boursier-Mougenot, à l'Ecole supérieure des beaux-arts de Paris, en juin 2002. | MAXIMILIEN LAMY / AFP

En cette fin de mois de mars, l’Ecole supérieure des beaux-arts de Nîmes (Esban) est en pleine ébullition, période de recrutement oblige. Entre le concours d’entrée en première année, les commissions d’admission en deuxième année ou au niveau master, « ça coince un peu cette semaine », sourit Christelle Kirchstetter, la directrice générale de l’école. D’autant plus qu’un nombre croissant de candidats se présente d’année en année : « Plus de 50 % sur trois ans. » Rien que pour la première année, ils sont 140 candidats… pour trente places. Malgré la forte sélection qui s’impose, « notre ambition est de continuer à conjuguer bienveillance, diversité et excellence de nos élèves », résume-t-elle.

Conjuguer diversité et excellence, la question taraude la cinquantaine d’écoles supérieures d’art qui dépendent du ministère de la culture, communément appelées beaux-arts. Des écoles diverses et variées, tant en termes de profil (trente-quatre écoles « territoriales » financées par les collectivités, onze écoles « nationales »), que de taille ou de notoriété, qui forment aujourd’hui quelque 11 000 étudiants. A l’issue d’une sélection souvent aussi intense que bien d’autres grandes écoles.

Les taux d’admission en première année sont par exemple de 21 % à Nîmes, 45 % à Limoges, 30 % à Clermont-Ferrand, 35 % à Nancy, 18 % à Dijon, 12 % à Paris, 10 % à Lyon, 8 % à Strasbourg et Mulhouse, etc. Et seulement 3,5 % des candidats sont finalement admis aux prestigieux arts décoratifs à Paris (Ensad). A titre de comparaison, ils sont 14,5 % parmi ceux qui passent le concours de Sciences Po.

Des écoles « qui ne font plus peur »

En cause, une augmentation du nombre de candidats ces dix dernières années, expliquent les directeurs d’écoles. Tant auprès des écoles que du ministère de la culture, Le Monde n’a pas été en mesure d’obtenir des données complètes illustrant cette hausse des inscriptions. Mais « depuis que les écoles d’arts sont entrées dans le système européen LMD [licence, master, doctorat], nos formations ne font plus peur aux parents, assure Emmanuel Tibloux, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon (Ensba) et président de l’association qui regroupe toutes ces écoles (l’Andea). Elles se sont normalisées aux yeux de la population, créant un appel d’air ».

L’amélioration de l’insertion professionnelle des diplômés aurait aussi joué, entre autres portée par le développement de la spécialité design dans les écoles. « La valorisation de la créativité et de l’innovation dans les discours dominants » a fait le reste.

Aujourd’hui directeur artistique et plasticien, Camille, 32 ans, est un ancien des arts déco, d’où il est sorti en 2012. Il se souvient que « le concours pour y entrer était si technique que le passage en prépa était quasi obligatoire ». Il choisira l’une des deux prépas privées les plus connues en France, et paiera les 6 000 à 7 000 euros d’inscriptions nécessaires.

Passage par la case prépa

A la fois cause et conséquence de la hausse du nombre de candidats, le passage par la classe prépa a en effet tendance à se généraliser chez les candidats, et donc chez les admis, des écoles d’arts plastiques. De 15 % du total des élèves pour les moins concernées, jusqu’à près de 80 % pour les formations les plus demandées : comme à l’Ensba de Lyon, aux arts déco ou aux beaux-arts de Paris. « On n’entre pas à l’Ecole normale supérieure sans avoir fait hypokhâgne ou khâgne, ni dans les grandes écoles scientifiques sans être passé par “maths sup-maths spé” », justifie Didier Semin, le directeur des études des beaux-arts de Paris.

La classe prépa, comme son équivalent Manaa (mise à niveau en arts appliqués) pour les écoles d’arts appliquées, sert aussi à combler le manque de culture et de pratique artistique des bacheliers, selon certains directeurs d’école. En cause, la place réduite et le peu d’importance accordée à l’art dans l’enseignement secondaire, plaident-ils.

Alexia, aujourd’hui designeuse de 28 ans à Paris, est passée par l’Ecole supérieure d’art et de design d’Amiens (ESAD). Mais, sortant d’un bac S, elle « ne connaissait rien au monde de l’art, (…) l’année de préparation [privée pour elle aussi] permet d’acquérir les bases d’histoires de l’art, de la curiosité et de la pratique pour pouvoir présenter un book cohérent et répondre aux exigences de connaissances demandées aux concours ».

Uniformisation des candidatures et des profils

Cette progressive généralisation d’une année de préparation à des concours dont les places sont devenues chères, ne se fait pas sans poser une question de fond aux écoles : celle du risque d’une uniformisation des candidatures et des profils préformés dans les mêmes établissements privés, souvent situés dans les grandes villes.

« Il y a quelques années, beaucoup de jurys se plaignaient de recevoir toujours le même type de dossiers, les mêmes explications, de la part des élèves des classes privées », se souvient Estelle Pagès, directrice des études d’arts plastiques à la Haute école des arts du Rhin (HEAR), situation qui « s’est toutefois améliorée depuis ». Alors que nous « cherchons des profils riches, des personnalités, des singularités artistiques en devenir », rappelle-t-elle.

C’est entre autres pour cette raison que les écoles supérieures d’art se sont rapidement investies dans le développement des classes préparatoires publiques, dont les coûts d’inscription sont de quelques centaines d’euros. « Les directeurs pédagogiques de ces prépas sont beaucoup plus en lien avec les écoles d’arts, connaissent leurs attentes », explique Estelle Pagès. Aujourd’hui à la HEAR, si la moitié des élèves est passée par une classe prépa, ils sont issus à parts égales de prépas privées et de prépas publiques. Une bonne performance de ces dernières vu leur nombre.

« Avec dix-neuf classes aujourd’hui, pour quelque 450 élèves, elles deviennent une vraie alternative aux privées », veut croire Emmanuel Hermange, président de l’association nationale des classes préparatoires publiques aux écoles supérieures d’art. Elles restent cependant très minoritaires en termes d’élèves concernés : les deux prépas privées les plus connues brassent à elles seules plus de mille élèves par an.

Organiser la diversité

La classe préparatoire des Arcades, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), qu’Emmanuel Hermange dirige ne désemplit pas : « On est passé de 200 candidats il y a cinq ans, à 370 en 2015. » Conséquence de ce succès porté par de bons taux de réussite des prépas publiques : la sélection pour entrer va d’« un admis pour cinq candidats à un pour dix selon les établissements ». Le nombre de prépas publiques pourrait atteindre vingt-cinq établissements à l’horizon 2025. La petite dernière, Via Ferrata, a ouvert ses portes aux beaux-arts de Paris à la rentrée.

« Il y a un souhait global dans les écoles de diversifier les origines sociales et les profils des étudiants » résume Emmanuel Hermange. Toutes les écoles interrogées confirment cette tendance. « On réfléchit à permettre, dans le futur, aux prépas publiques de sélectionner entre zéro et quatre élèves de leur effectif, à qui l’on dispenserait le passage de nos épreuves d’admissibilité », commente ainsi Emmanuel Fessy, directeur des études de l’Ensad. Il voit dans ces prépas publiques, réparties sur tout le territoire, aussi une manière de diversifier géographiquement son recrutement.

Afin de diversifier les profils, les écoles d’arts plastiques publiques s’attachent aussi à maintenir, voire à augmenter, le nombre de candidats autorisés, par dérogation, à passer les concours d’entrée sans le bac. Mais aussi à développer les passerelles ou voies d’accès à ceux ayant déjà eu un parcours dans le supérieur.

« Il ne faut pas oublier que l’année supplémentaire que constitue la prépa peut faire peur aux familles les plus modestes, explique Muriel Lepage, directrice de L’Ecole supérieure d’art de Clermont Métropole, où 58 % des élèves sont boursiers. Aujourd’hui 95 % des artistes et designeurs sont formés par une école. Assurer la diversité dans les écoles aujourd’hui, c’est donc aussi diversifier l’art et le monde de demain. »