Stojan Jankovic, 53 ans, est originaire de l’ancienne Yougoslavie. Arrivé au Royaume-Uni en 1991, il y habite depuis, sans droite d’asile, refusé, ni permis de séjour, expiré. « Stoly » est devenu partie intégrante de son quartier londonien de Kentish Town, à tel point que cette communauté se mobilise fortement depuis quelques jours pour empêcher son expulsion, notamment avec une pétition en ligne.

« Stoly » a été arrêté par la police et conduit dans un centre de détention dans le Dorset, jeudi 30 mars. Il risque l’expulsion vers la Serbie, pays créé après la dislocation de la Yougoslavie, dont il ne possède pas le passeport et avec lequel il n’a plus aucun lien.

Depuis quinze ans, le quinquagénaire est devenu un visage familier pour les habitants du quartier, derrière le guichet du magasin bio de Kentish Town Road. Son employeur, John Grayson, décrit au Monde un homme célibataire « charmant, très joyeux et populaire », menant « une vie calme » :

« Il a été employé de manière transparente et honnête. Il avait la permission de travailler (…). Il a toujours payé ses factures. »

Le 30 mars, Stojan Jankovic se rendait, comme tous les mois depuis 10 ans, à son centre de déclaration d’immigration. L’arrestation s’est faite sans préavis, alors qu’il venait simplement remplir des formalités administratives. Son expulsion du pays était prévue à peine cinq jours plus tard, le 4 avril.

L’importante mobilisation pour empêcher son expulsion a contribué à médiatiser l’affaire et obtenir ainsi sa libération et un report de 14 jours, pour qu’il puisse organiser un recours juridictionnel, comme le rapporte le Camden New Journal. Keir Starmer, député travailliste de la circonscription à laquelle appartient Kentish Town, en a fait la demande auprès du ministère de l’intérieur.

« Il s’agissait d’avoir plus de temps pour assurer à Stoly de bons conseils et une représentation adéquate. Il était question à un moment de l’expulser mardi, ce qui ne lui laissait même pas le temps d’avoir des conseils adaptés. »

« C’est incroyable l’effervescence que cela a suscité »

Pour John Grayson, l’arrestation de son employé a été « un choc terrible ». « Il est un membre à part entière de la communauté à Kentish Town. Le fait que cela puisse arriver de manière si arbitraire a fait réagir les gens. C’est incroyable l’effervescence que cela a suscité. Même la BBC va venir faire un reportage », nous dit-il.

La mobilisation locale est rapidement devenue nationale, grâce en partie à une pétition pour « arrêter l’expulsion indigne » de « Stoly », signée par 25 000 personnes en seulement 48 heures. Les auteurs, qui l’ont transmise à la secrétaire d’Etat à l’intérieur, Amber Rudd, se félicitent du délai de 14 jours obtenu mais rappellent que « cela ne veut pas dire que tout est réglé ».

Sur Twitter, le hashtag #SaveStoly recense autant des messages de soutien que des remarques adressées à la ministre Amber Rudd.

L’ancien joueur de football anglais et désormais consultant télé, Gary Lineker, a diffusé l’article du Camden New Journal auprès de ses plus de 5 millions de followers.

« Je peux rêver en anglais, mais je suis incapable de lire des formalités »

Pour expliquer pourquoi il n’a jamais régularisé sa situation depuis tant d’années, Stojan Jankolovic a expliqué au Camden New Journal avoir eu quelques difficultés à comprendre et à coopérer avec le ministère de l’intérieur pour les formalités administratives :

« Je me suis retrouvé dans cette galère car je n’ai pas rempli correctement mes papiers pour le droit de séjour permanent. Je ne comprends pas ces choses-là. Je peux écrire de la poésie en anglais, je peux rêver en anglais, j’évolue professionnellement en anglais mais je suis incapable de lire des formalités que ce soit en serbe ou en anglais. C’est mon gros problème et c’est comme ça que je me retrouve dans cette situation épineuse. »

Pour l’heure, il a été libéré du centre de détention et peut compter sur de solides soutiens, comme le rappelle la pétition lancée par ses amis et voisins :

« Pour ses collègues et voisins, clients et les employés de Kentish Town, il représente simplement le meilleur de la Grande-Bretagne et de Camden : travail acharné, sens de l’autodérision, et un dévouement pour aider les autres. »

Des situations similaires à craindre

Comme un symbole, le processus d’expulsion de « Stoly » a commencé quelques jours après la signature de l’article 50 actant le lancement du Brexit. Le gouvernement britannique n’a pas donné de chiffres officiels concernant les expulsions d’étrangers résidant au Royaume-Uni, même si le ministère de l’intérieur a évoqué le nombre de 3 millions, celui de tous les Européens qui y résident.

Ce qui est sûr, selon le professeur de politique européenne Anand Menon, est que le Brexit va multiplier ce genre d’expulsions car les règles bureaucratiques inflexibles qui seront mises en place ne prendront pas en compte les spécificités de chaque individu.

Il cite l’exemple d’une autre résidente britannique de longue date récemment expulsée. Irène Clennell, sur place depuis 1988 et mariée à un Britannique depuis 27 ans, a été expulsée vers Singapour en février. Son tort : être restée trop longtemps là-bas pour prendre soin de ses parents, ce qui lui a valu l’invalidation de son permis de séjour. Des dons pour Mme Clennell, expulsée de son propre aveu « avec les vêtements que je portais et 12 livres [sterling] dans les poches », ont centralisé sur la page GoFundMe 43 000 livres.

Il y a aussi d’autres façons de résister à ces expulsions. Des réseaux et associations tels que Plane Stupid, Lesbians and Gays Support the Migrants ou End Deportations sont impliqués dans ces luttes depuis longtemps et continuent d’autant plus à le faire après la signature de l’article 50. Le 28 mars, un avion transportant 70 personnes expulsées vers le Ghana et le Nigeria a été empêché de décoller de l’aéroport de Stansted. Un succès pour les activistes qui a abouti à l’arrestation de 17 d’entre eux pour infractions aggravées.