ÇÀ ET LÀ ÉDITIONS

Tels des monsieurs Jourdain du XXIe siècle, nous faisons tous du big data sans le savoir : lorsque nous naviguons sur Internet, que nous nous déplaçons, que nous communiquons avec nos amis, nos produisons des quantités invraisemblables de données - le plus souvent sans y penser. Que deviennent ces données, captées par Uber, Facebook ou Google ? Que disent-elles de nous ?

C’est pour tenter de répondre à ces questions que le journaliste Michael Keller et le dessinateur Josh Neufeld (La machine à influencer) se sont associés pour créer Dans l’ombre de la peur, sorti ce 14 mars en France. L’ombre de la peur ? Un concept utilisé notamment par Al Gore, pour convaincre les législateurs californiens que l’analyse automatisée des emails par Google ne représentait pas un danger pour les consommateurs.

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Pourtant, a la lecture des soixante pages de la BD, on sent vraiment passer la peur - et son ombre. Josh Neufeld, dans le rôle du candide, découvre au fil du récit à quel point son empreinte numérique peut permettre de savoir qui il est, ce qu’il fait, et pourquoi. Pourtant, et c’est l’une des grandes forces du livre, il n’est ici pas question de porter un message moralisateur ou paranoïaque : à charge pour chacun de décider ce qu’il ou elle veut bien confier aux grandes sociétés du Net, nous dit Michael Keller. Plus précisément, c’est un choix de société qu’il nous faut faire, puisque l’individu seul ne peut pas grand-chose : pris dans le réseau de nos amitiés, de nos habitudes de consommation, même les plus méfiants d’entre nous apparaissent, au moins en filigrane, dans les flux de données produits par des tiers...

Pour autant, nous sommes plus que la somme de nos données, explique Michael Keller. Celles-ci se trompent parfois, et peuvent aussi être utilisées pour le bien public. Mais elles touchent aux questions fondamentales de l’être humain : qui sommes-nous ? L’image que nous cherchons à projeter est-elle plus « nous » que celle que nous laissons, inconsciemment, dans les traces de notre navigation en ligne ?

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Ces dernières questions n’auront, peut-être, jamais de réponse. Mais il est urgent de répondre à d’autres, comme de savoir si nous sommes prêts à laisser la Silicon Valley instaurer un système de contrôle dans lequel nous sommes tous à la fois le surveillant et le surveillé - comme dans le modèle d’Uber. D’autant que la grande foire aux données personnelles n’en est qu’à ses balbutiements : bracelets connectés, analyseurs vocaux, et autres outils nouveaux qui facilitent le quotidien en contrepartie de toujours plus d’informations sur nos comportements se multiplient bien plus vite que la prise de conscience politique.

« Dans l’ombre de la peur, le big data et nous », de Michael Keller et Josh Neufeld, Çà et là éditions, 14 euros.