En France comme à l’étranger, nombre d’observateurs affirment que la candidate du FN, Marine Le Pen, serait sous-estimée dans les enquêtes d’opinion. Ces personnes se fonderaient sur une intuition ou des croyances non démontrées davantage que sur une argumentation étayée.

Ce discours, qui prend son origine dans le « péché originel » du 21 avril 2002 et qui mélange la victoire de Donald Trump et du Brexit avec l’élection présidentielle française et son mode de scrutin – pourtant différent –, imprègne les esprits et les commentaires. 48 % des Français estiment maintenant que Marine Le Pen pourrait l’emporter.

Que dire, dans ces conditions, de la mesure du FN ? D’abord qu’il est arrivé aux instituts de sondage tout autant de le sous-estimer que de le surestimer – et dans la plupart des cas, de l’évaluer correctement. Lors des élections régionales de 2015, le parti d’extrême droite a été surestimé de deux à trois points suivant les instituts, tout comme, en 2007, à l’occasion du face-à-face entre Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy. La croyance en la sous-estimation systématique du FN est tellement enracinée qu’elle en devient sélective et omet ces cas de surestimation pourtant bien réels. Lors des européennes de 2014, en revanche, sa mesure a été très correcte.

Ensuite, le niveau actuel de Marine Le Pen constitue déjà une très grande performance : 25 % ou 26 % d’intentions de vote, c’est sept ou huit points de plus que le score de 2012 (18 %). Dans une élection où l’abstention s’établirait à 30 % environ, cela signifierait plus de 7 millions de suffrages, contre les 6 millions obtenus en 2012 ou lors des régionales de 2015. Soit une progression de plus de 20 %.

Fluidité électorale accrue

Cela est possible compte tenu de la très bonne fidélisation de l’électorat FN et de l’arrivée de nouveaux votants, mais cela n’a rien d’évident. Et si Marine Le Pen fait mieux encore le 23 avril, c’est que d’autres candidats auront baissé, alors que François Fillon ou Nicolas Dupont-Aignan sont à des niveaux faibles – respectivement 18 % et 4 % – et pourraient plutôt progresser. Rien n’est impossible mais la tâche, on le voit, est ardue.

Enfin, les enquêtes électorales sont aujourd’hui réalisées en ligne par questionnaires autoadministrés. Il n’y a pas d’enquêteurs posant des intentions de vote et donc peu de risques d’insincérité : on peut mentir à quelqu’un si l’on n’assume pas son vote FN, on ne voit pas pourquoi on le ferait face à un ordinateur ou une tablette. Quand on demande aujourd’hui aux interviewés leur vote lors de la dernière élection présidentielle, on retrouve assez exactement le résultat de 2012 pour chaque candidat. Cela témoigne d’une meilleure représentativité politique des échantillons en ligne que par téléphone.

Si des biais restent possibles dans les enquêtes par sondage, c’est l’histoire de notre métier que de les corriger. Mais si biais il y a, ils ne portent pas forcément que sur le FN. A ce jour, lors des élections nationales et dans la limite des marges d’erreurs, les enquêtes par sondage ont plutôt bien fonctionné et la récente prévision du vote populiste aux Pays-Bas a été excellente.

La fluidité électorale accrue, l’abstention potentiellement forte, le désir profond des Français de changer la donne, les événements imprévisibles de campagne, imposent néanmoins d’être rigoureux et de suivre le film jusqu’au bout. Mais on ne peut affirmer de manière péremptoire que le FN, à trois semaines du premier tour, serait sous-estimé.

Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France