L’Europe à deux vitesses existe bel et bien : seize Etats membres de l’Union européenne (UE) sur vingt-huit ont décidé, lundi 3 avril, de coopérer pour créer un parquet européen, spécialisé dans la lutte contre les fraudes aux intérêts financiers de l’UE. La procédure dite de « coopération renforcée » utilisée pour mener à bien ce projet permettra de surmonter l’opposition de certaines capitales. Elle autorise le lancement d’une initiative, si neuf pays au moins adoptent des décisions qui ne s’appliquent qu’à eux. Quitte à ce que d’autres décident de les rejoindre plus tard.

La France figure parmi les pays concernés, avec l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Finlande, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. La Suède, la Pologne, les Pays-Bas – où les députés ont voté non – et la Hongrie conduisaient le peloton des récalcitrants à ce projet, rendu possible par le traité de Lisbonne, adopté en 2009.

Le Danemark a invoqué une clause d’exemption (opt-out), l’Irlande et le Royaume-Uni, qui ne participeront pas non plus, ont toutefois soutenu le Conseil en admettant que la protection des intérêts financiers de l’UE devait être aussi importante que la protection des intérêts financiers nationaux.

La question de l’indépendance

Il aura fallu de longues négociations et un projet de départ revu à la baisse – l’objectif était un « FBI européen » chargé de la lutte contre toute la criminalité transfrontalière – pour parvenir à la décision annoncée officiellement par le Conseil européen, mardi 4 avril. Une ultime tentative pour trouver un accord entre tous les Etats membres avait échoué, il y a quelques semaines.

Le futur parquet européen – dont le principe devra être approuvé par le Parlement de Strasbourg – est censé être un organe indépendant, chargé de combattre toutes les infractions contrevenant aux intérêts financiers de l’UE et les fraudes transfrontalières à la TVA, qui, selon la Commission, se chiffrent à 50 milliards d’euros par an. La Cour des comptes européenne estime que le manque à gagner global lié aux infractions financières atteint le chiffre de 168 milliards d’euros. Les fraudes au budget de l’Union avoisineraient, elles, 3 milliards.

Le parquet sera responsable devant le Conseil, le Parlement européen et les Parlements nationaux. Il se composera d’un procureur européen, chargé de veiller à une approche uniforme dans les différents pays, et de procureurs européens délégués dans les Etats membres. Ces derniers instruiront les dossiers avec l’aide de personnels nationaux. Les poursuites seront engagées devant les juridictions nationales, qui conservent la compétence de jugement.

Une réelle avancée

La question de l’indépendance effective du procureur européen reste toutefois posée, puisqu’il sera flanqué d’un collège composé d’un procureur du parquet de chaque pays. Ils auront leur mot à dire lorsque leur pays sera concerné.

« La structure tout entière étant fondée sur des ressources existantes, elle ne devrait entraîner aucune dépense supplémentaire importante », insistait la Commission dans son texte initial, en 2013. La question des moyens du futur parquet et du partage des charges entre l’Union et les Etats a suscité des discussions très ardues et doit encore être précisée. De quoi inquiéter certains spécialistes, qui redoutent déjà les complications administratives pour un projet par ailleurs très complexe à mettre en œuvre.

La décision annoncée mardi est toutefois vue comme une réelle avancée vers la constitution d’un espace pénal communautaire, même si l’on est loin du projet de départ et si certains espéraient que le parquet soit opérationnel dès 2016. L’action d’Eurojust, un organe de coopération judiciaire situé à La Haye et présenté comme l’« embryon » d’un parquet européen, est jugée intéressante mais trop lente, comme l’ont écrit les représentants de divers parquets, à la fin de 2016.