Des « Tutos » de maquillage sur YouTube | Capture d'écran YouTube

Il se passe de drôles de choses dans les sous-sols du 9, rue des Arènes, dans le cinquième arrondissement de Paris. On peut y croiser des orques verdâtres tout droit sortis du Seigneur des anneaux, des modèles exhibant fièrement une gorge tranchée, ainsi que de jeunes mannequins aux joues saillantes, le visage enduit de peinture fluorescente.

A l’Institut technique du maquillage de Paris (ITM), on est loin des tutoriels beauté sur YouTube, dont raffolent les adolescentes. Ici, l’art du maquillage ne se limite pas à l’imitation des mises en beauté des stars américaines, mais s’articule autour des multiples compétences des futurs maîtres du pinceau. Les 180 étudiants de l’école apprennent aussi bien à camoufler les cernes d’un présentateur de télévision qu’à transformer une chanteuse lyrique en Reine de la nuit, sur les conseils de professionnels de l’Opéra de Paris.

« Nos élèves maîtrisent bien évidemment les techniques du contouring [redessiner les contours du visage grâce au maquillage] que l’on voit sur YouTube ou Instagram. Mais, surtout, ils sont à même de travailler dans tous les milieux, explique Florence Capel, directrice adjointe. Certains candidats mentionnent des youtubeurs en entretien. Mais nous conseillons à nos élèves de ne pas exposer trop vite leur travail sur Internet, car il faut qu’ils prennent le temps d’apprendre. »

En France, il n’existe pas de formation publique pour le métier de maquilleur artistique. Une vingtaine d’écoles privées en proposent. Un étudiant débourse ainsi 7 120 euros pour une année à l’ITM, auxquels s’ajoutent environ 1 700 euros de frais de matériel.

Fondé en 1985 par Aïda Carange – qui fut chef maquilleuse sur le tournage des Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy –, l’lTM a pour vocation de former en deux ou trois années des maquilleurs artistiques pour le cinéma, la télévision, la mode et le spectacle vivant. Avec l’irruption du numérique, d’autres débouchés s’offrent aux élèves, recrutés après le bac sur présentation d’un dossier artistique. « Les vidéoclips ou les web-séries font de plus en plus appel à des maquilleurs, observe Florence Capel. Ce qui requiert d’assimiler de nouvelles techniques, comme le maquillage pour caméra haute définition. »

Mais si l’enseignement s’adapte à ces pratiques 2.0, il n’oublie pas les bases du métier. Les étudiantes (des femmes à 95 %) suivent ainsi des cours de vieillissement du visage, d’histoire de la silhouette ou d’effets spéciaux, très prisés par les arts visuels et le spectacle vivant.

En ce mois de février, des élèves s’initient à la pose de faux crânes en latex, s’utilisant mutuellement comme cobayes pour cette métamorphose insolite. Les cheveux retenus par un collant noir, Thao Bui, 22 ans, observe dans un miroir l’élaboration de sa calvitie éphémère. « Ça tire un peu mais pour le moment, ça va », s’amuse l’étudiante, originaire du Vietnam. L’ITM compte 20 % d’élèves étrangers, venus du monde entier pour se former aux techniques de maquillage à la française. C’est le cas de la Mexicaine Naoli Cabrera, 27 ans, qui compte bien se faire une place dans le microcosme parisien à la sortie de l’école.

« Je commence à avoir beaucoup de contacts et on me rappelle pour travailler sur des shootings », détaille la jeune femme. Le quotidien d’un maquilleur est généralement celui d’un travailleur en free-lance : les opportunités de carrière se dessinent au gré des rencontres et des tournages. Le statut d’intermittent du spectacle assure à certains un précieux filet de sécurité, tandis qu’intégrer une agence artistique permet de décrocher davantage de contrats. Une réalité prise en compte à l’ITM, qui inclut de nombreux stages dans sa scolarité.

La vie de maquilleur est donc nettement moins glamour que celle des « influenceuses » de YouTube. « C’est complètement différent, explique posément Célia Cerqueira, 19 ans. Nous, on doit savoir maquiller les autres, s’adapter à tous les types de peau et à toutes les demandes. » Quand elle ne suit pas les cours à l’ITM, la jeune femme grime les élèves du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, lorsqu’ils présentent un opéra. « Tout me plaît dans ce métier, c’est tellement créatif, s’exclame Célia Cerqueira. Il faut beaucoup d’entraînement, mais aussi se cultiver et être ouvert à tout. »