Le juge Charles Duchaine (2e en partant de la droite) dirigera l’Agence française anticorruption, qui ouvrira le 23 mai (ici, le jour de l’inauguration, le 23 mars, avec François Hollande, Michel Sapin et Jean-Jacques Urvoas). | Blondet-Pool/Sipa

L’actualité offre parfois de curieux carambolages. Le 23 mars, l’Agence française anticorruption (AFA), qui ouvrira ses portes en mai, a été inaugurée par François Hollande. Soit deux jours seulement après la démission de Bruno Le Roux, le ministre de l’intérieur accusé d’avoir employé ses filles, alors lycéennes, comme assistantes parlementaires. Le président de la République a saisi l’occasion pour venir en personne présenter cette agence au côté du magistrat Charles Duchaine, qu’il vient de nommer directeur pour six ans. « La corruption est bien plus qu’un délit, c’est une menace contre la démocratie », a lancé le président. Et d’ajouter : « La République exemplaire, ce n’est pas un pari sur l’infaillibilité humaine, il y aura toujours des défaillances individuelles. C’est s’assurer que les fautes, les manquements, les faiblesses seront identifiés, révélés, sanctionnés. »

Créée par la loi Sapin 2, l’AFA remplace le service central de prévention de la corruption. Rattachée aux ministères des finances et de la justice, cette agence constitue le troisième volet du « triptyque » anticorruption, instauré il y a cinq ans avec la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique puis celle du Parquet national financier. Son but ? « Intervenir auprès des administrations, des collectivités locales et des entreprises pour prévenir et détecter les faits de corruption », a énuméré François Hollande.

Un magistrat déterminé

Pour commencer, les 70 agents (dont soixante doivent encore être recrutés) devront veiller à ce que les grandes entreprises du territoire français appliquent un plan de prévention de la corruption. « Nous les aiderons dans cette démarche, malgré elles s’il le faut », a prévenu dans son discours Charles Duchaine. Ce magistrat, réputé pour sa détermination, a consacré sa carrière à la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. Juge d’instruction pendant vingt-cinq ans, dont dix à la JIRS de Marseille (juridiction spécialisée), Charles Duchaine a imaginé, dès ses débuts en 1990 à Aurillac, un système de sanctions économiques à l’égard des délinquants financiers, des exécutants et barons du grand banditisme, des élus corrompus. « Quasiment toutes les infractions sont destinées à générer des profits. J’ai donc toujours essayé, là où il y avait eu un véritable enrichissement, de le récupérer. C’est pour moi une mesure de réparation », suggère ce pragmatique né dans le Limousin.

Charles Duchaine lors de l’inauguration de l’Agence française anticorruption, le 23 mars 2017, à Paris. | Francois Mori/ POOL /REUTERS

« Le juge Duchaine », comme l’appellent certains, s’est fait connaître en mettant en examen le sénateur PS Jean-Noël Guérini dans l’affaire des marchés truqués des Bouches-du-Rhône et en s’attelant à la première enquête pour blanchiment d’argent sur le Rocher monégasque. Des dossiers qu’il a menés à terme, malgré les tentatives d’intimidation et les menaces qui lui ont valu, pendant deux ans, d’être protégé par des gardes du corps. « Quand on exerce ce métier avec un peu de détermination et d’engagement, on se fait des ennemis. Aussi bien dans la maison qu’à l’extérieur, d’ailleurs », concède-t-il.

En 2014, il a pris la tête de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), aussi appelée « banque du milieu ». La gestion de cet argent sous forme de comptes bancaires, d’argent liquide, de biens immobiliers ou mobiliers a rapporté à l’État « 28 millions net toutes charges déduites » en 2016, se félicite-t-il. Désormais directeur de l’AFA, il a promis de se mettre au service de l’anticorruption pour les six prochaines années. Ce 23 mars, il souhaitait voir dans cette inauguration, et malgré l’incertitude de la prochaine élection présidentielle, « un commencement de quelque chose qui a des conséquences durables ».

Par Anaïs Coignac