Editorial du « Monde ». C’était il y a un an, le 3 avril 2016, autant dire hier. La vague des « Panama papers » déferlait sur le monde, jetant une lumière crue sur les 212 000 sociétés-écrans immatriculées dans des paradis fiscaux opaques par un cabinet d’avocats panaméen alors parfaitement inconnu, Mossack Fonseca, pour le compte de hauts responsables politiques et de grandes fortunes mais aussi de réseaux criminels et de dirigeants de pays corrompus.

C’était hier, et pourtant que de chemin parcouru. Grâce aux révélations de cette enquête sur l’argent noir du Panama, coordonnée par le consortium de journalisme d’investigation indépendant ICIJ, à laquelle a contribué Le Monde, la lutte contre le blanchiment d’argent a connu un énorme coup d’accélérateur. Le processus, engagé après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, fut amorcé dès 2009 par l’administration Obama qui fit, de facto, tomber le secret bancaire suisse. Il n’a pas été interrompu depuis.

Liste noire mondiale

Les fraudeurs pensaient avoir gagné l’impunité en quittant la Suisse pour des caches exotiques ? Ils ont été rattrapés par le fisc et la justice de leurs pays d’origine, qui ont lancé des enquêtes tous azimuts, avec notamment plus de 500 contrôles fiscaux engagés en France, dont 415 pourraient aboutir à des redressements.

Les dernières places fortes du secret bancaire tombent une à une

Les paradis fiscaux se rêvaient en zones de non-droit et se pensaient intouchables ? Ils ont eux aussi été rattrapés par la patrouille du G20. Les ministres des finances des vingt économies les plus puissantes de la planète ont voté comme un seul homme, dans la foulée des « Panama papers », le rétablissement d’une liste noire mondiale des Etats et des territoires non coopératifs en matière fiscale, avec sanctions à la clé pour les contrevenants.

Nul doute que cette liste noire, en cours de préparation à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), sera approuvée à l’unanimité des chefs d’Etat et de gouvernement du G20, lors du sommet de Hambourg, en Alle­magne, les 7 et 8 juillet prochains. Y compris par Donald Trump, qui ne voudra pas remettre pas en cause le processus, au nom de la lutte contre le terrorisme.

Processus de long terme

La pression internationale sur les Etats et les territoires non coopératifs est telle qu’elle fait progresser la régulation comme jamais jusqu’ici. De fait, pour éviter le fichage sur liste noire et la mise au ban de leur économie, les dernières places fortes du secret bancaire tombent une à une. Jusqu’au Panama, qui vient lui aussi de signer l’accord sur l’échange automatique de données financières entre Etats (comptes bancaires, parts de sociétés…), l’outil le plus efficace pour enrayer la fraude et l’évasion fiscales, comme plus d’une centaine de juridictions avant lui.

L’étape d’après, déjà lancée elle aussi, verra la mise en place de registres de bénéficiaires réels des sociétés offshore, un peu partout dans le monde. Une réforme qui permettra en fait d’ouvrir ces boîtes noires de la finance, dans lesquelles vient se cacher l’argent issu de la fraude fiscale et du crime organisé. Le sujet est à l’agenda du G20 comme à celui de l’Union européenne, et le fait qu’il suscite un consensus politique est suffisamment rare pour être souligné.

Certes, il s’agit d’un processus de long terme, et les engagements des paradis fiscaux à coopérer devront être suivis d’effet et contrôlés. Mais la reddition sur le papier de ces centres offshore toxiques pour la marche du monde constitue déjà une victoire.