Pascal Boniface, le 22 septembre 2016. | Cédric Perrin / BESTIMAGE

Dans son dernier ouvrage, Les Relations internationales de 1945 à nos jours, le géopolitologue Pascal Boniface se penche sur ces années qui ont vu le monde bipolaire basculer vers une organisation plus complexe des intérêts et conflits. Loin de tout passéisme, le fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) porte un regard critique et bienveillant sur une époque riche en bouleversements.

Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?

Le futur, car je me sens bien mieux dans le présent que dans n’importe quelle période du passé. A la limite, j’aimerais revivre ma propre adolescence. Le futur et ses questionnements m’intéressent beaucoup plus. Comment nous nous positionnons par rapport aux évolutions technologiques ; l’homme va-t-il maîtriser le progrès technologique ou se laisser porter par lui ?

Une image de notre époque…

Celle des réfugiés qui fuient au péril de leur vie les guerres dont nous sommes en partie responsables. Il est toujours facile de provoquer des catastrophes et de ne pas accepter d’en endosser la responsabilité. Que les Etats-Unis aient cru possible d’interdire des visas aux Irakiens alors qu’ils ont eux-mêmes provoqué cette guerre en 2003 est proprement hallucinant.

Un son de notre époque ?

La Mémoire et la Mer, de Léo Ferré, que j’étais parvenu à télécharger comme sonnerie sur mon ancien téléphone. C’est le son qui m’accompagne le plus. Je suis un fan de Léo Ferré qui, dans cette chanson, vient entourer d’un halo d’émotion une chanson a priori incompréhensible.

Un livre ?

Le rapport annuel d’Amnesty International. Cette ONG fait un boulot formidable en faveur des droits humains et se bat contre tous les atteintes qui leur sont portées. Amnesty est vraiment une organisation universaliste qui ne pratique pas l’indignation sélective.

Un slogan ou hashtag ?

« Ce qui est encombrant dans la morale c’est toujours la morale des autres », chantait Léo Ferré. Je travaille sur la question des relations internationales, un domaine dont les acteurs évoquent de plus en plus la morale. Je pense qu’il est temps de se poser la question de son relativisme. L’absolutisme de la morale me fatigue.

Une expression agaçante de notre époque ?

« Pour information ». Au lieu d’annoncer directement l’information, on préfère démarrer par ces mots totalement inutiles. Je préfère aller droit au but.

Un personnage ?

Stéphane Hessel. Il a traversé plusieurs époques et a utilisé jusqu’à la fin de sa vie son intelligence, son humanité, sa générosité, sa droiture, son intégrité et son humour. Il n’a jamais tiré avantage de sa position. J’ai eu le plaisir de le connaître et je peux dire qu’il mettait systématiquement ses paroles en pratique.

Un bienfait de notre époque ?

L’allongement de la durée de la vie en bonne santé. Un succès de notre siècle. Je précise en bonne santé car la fin de vie est toujours aussi critique. C’est triste de voir des gens perdre leurs capacités au moment de la vieillesse.

Le mal de l’époque ?

L’égoïsme, qui est à la base de tout ce qui va mal sur terre. Penser d’abord à soi suscite des conflits : que ce soit avec les autres communautés, les autres pays… C’est un mal universel qui va à l’encontre de l’intérêt général.

C’était mieux avant, quand…

On l’oublie mais dans l’histoire, il y a toujours eu beaucoup plus de conflits, de guerres et de massacres qu’aujourd’hui. Donc non, ce n’était pas mieux avant.

Ce sera mieux demain, quand…

… de plus en plus de gens auront accès à l’information donc à la réflexion. Internet permet une plus grande conscience des intérêts de l’autre. On peut espérer de moins en moins de dictatures. Même dans les régimes autoritaires, les autocrates n’ont plus le monopole de l’information. A l’avenir, on aura de plus en plus de moyens de contredire la version officielle.

« Les Relations internationales de 1945 à nos jours », par Pascal Boniface, Eyrolles, 237 pages, 16 euros, paru le 16 mars 2017.