Un Model S P85 de Tesla à Pékin, en Chine. | KIM KYUNG-HOON / REUTERS

Certains diront qu’il s’agit d’une énième bulle spéculative, d’autres d’une étape symbolique qui illustre la métamorphose en cours de l’industrie automobile. Lundi 3 avril, la valeur de Tesla à la Bourse de New York a dépassé celle de Ford. Avec une capitalisation de 48,68 milliards de dollars, le constructeur de voitures électriques créé il y a seulement treize ans par Elon Musk est désormais la deuxième capitalisation boursière du secteur automobile américain devant Ford qui est à 45,55 milliards. General Motors, qui pèse 50,96 milliards est désormais en ligne de mire.

Au regard des fondamentaux de chacun des deux constructeurs, la performance a de quoi étonner. Tesla n’a vendu que 76 000 voitures en 2016 contre plus de six millions pour Ford. Le premier réalise un chiffre d’affaires vingt fois moins important que le second. Enfin, tandis que la firme d’Elon Musk n’a, jusqu’à présent, jamais gagné un seul dollar, Ford, créé en 1903, a engrangé plus de 10 milliards de profits l’an dernier.

« Je ne sais pourquoi des gens intelligents ne sont pas capables de voir ce qui se passe. Tesla perd de l’argent sur chaque voiture, ils accusent des pertes d’exploitation de façon continue et pourtant, tout le monde en parle comme si c’était le constructeur automobile le plus miraculeux de tous les temps », s’étonne l’ancien dirigeant de GM, Bob Lutz, dans une interview accordée lundi au Los Angeles Times.

Perspectives de croissance

Mais les investisseurs ne regardent pas dans le rétroviseur. Ce qui les intéresse, ce sont les perspectives de croissance. De ce point de vue, le passage de témoin observé lundi ne doit rien au hasard. Tesla a annoncé la veille que ses ventes ont progressé de 69 % au premier trimestre et qu’il était bien parti pour réaliser son objectif de vendre 50 000 voitures d’ici la fin juin. Du coup l’action a fait un bond de 7,27 % à 298,52 dollars. Un pied de nez aux cassandres que M.Musk n’a pas hésité à charrier. « Temps orageux à shortville », a tweeté le PDG, en s’adressant aux investisseurs, qui, ces derniers mois, avaient choisi de « shorter » l’action Tesla, c’est-à-dire de parier sur sa chute.

Dans le même temps, le temps se gâte pour Ford. Ses ventes pour le mois de mars ont baissé de 7,2 % à 236 250 unités, faisant chuter l’action de 1,72 % à 11,44 dollars. Plus globalement, la publication lundi des immatriculations pour l’ensemble des constructeurs montre que probablement le marché a désormais dépassé son pic et que, dans les prochains mois, les mauvaises nouvelles risquent d’être plus nombreuses que les bonnes. Après sept années de croissance consécutives, le secteur montre des signes évidents d’essoufflement.

Prix cassés et stocks conséquents

Pour empêcher le recul de leurs ventes, la plupart des constructeurs sont en effet obligés de proposer à leurs clients de généreuses ristournes. Celles-ci atteignent actuellement en moyenne 3 750 dollars, soit 10,3 % du prix moyen d’un véhicule, selon le cabinet J.D.Power. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis 2009, alors que le secteur était en pleine crise.

Par ailleurs, les concessionnaires ont actuellement plus de 70 jours de stocks sur leurs parkings. Là encore il s’agit d’un record depuis la crise financière. Selon le site WardsAuto.com, sur l’ensemble des États-Unis, plus de 4 millions de voitures neuves attendent ainsi un client, ce qui représente près d’un quart de la production.

Enfin, cela fait plusieurs mois que le taux de défaut sur les remboursements de crédit auto grimpe en flèche. Selon les chiffres de la Réserve fédérale de New York publiés en décembre 2016, plus de six millions d’Américains ayant souscrit un crédit auto accusent un retard dans le paiement de leurs traites. Le montant des subprimes, ces prêts accordés aux ménages les moins solvables atteignent le montant record de 179 milliards de dollars. Pour ne rien arranger, la Réserve fédérale a décidé d’accélérer le rythme de la hausse des taux, ce qui devrait mécaniquement réduire la capacité d’emprunt des Américains et, à terme, peser sur le marché automobile.

Pronostics fragiles

Pendant ce temps, la croissance de Tesla ne se dément pas et promet même d’accélérer avec le lancement en juillet de son Model 3, beaucoup plus abordable que les deux précédents, le Model S et le Model X. Vendu aux alentours de 35 000 dollars, cette nouvelle voiture a déjà fait l’objet de 400 000 précommandes. Tesla s’est fixé comme objectif de vendre 500 000 voitures par an à partir de 2018.

C’est cette histoire qu’achètent actuellement les investisseurs et qui explique l’envolée spectaculaire du titre en bourse contre laquelle Ford ne peut pas lutter. La capitalisation de ce dernier est revenue aujourd’hui à son niveau de 2010. À l’époque, Tesla ne valait que 2 milliards en bourse. Inutile de dire qu’au moindre accroc dans le plan de marche d’Elon Musk, tout ce beau château de carte pourrait s’effondrer.

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