LA LISTE DE NOS ENVIES

Au menu cette semaine : un documentaire sur l’Opéra de Paris, un autre sur les migrants de Melilla, un film d’animation signé de l’Américain Bill Plympton et une rétrospective pour renouer avec la vitalité magnifique de Jacques Becker.

TRUMP LA MORT : « La Vengeresse », de Bill Plympton

LA VENGERESSE Bande Annonce (Bill Plympton - Animation) 2017
Durée : 01:51

Représentant de longue date d’une animation pour adultes marginalisés aux Etats-Unis, Bill Plympton décline depuis plus de trente ans un univers résolument artisanal, antinational, surréaliste, loufoque, parfois inquiétant, toujours provocateur. Plus que le cinéma ou que la télévision, c’est Internet qui a fait sa réputation. Héritier de la contre-culture des années 1960, Plympton s’est fait une spécialité, dans ses longs-métrages, de la parodie des grands genres cinématographiques. Son style évolue dans les eaux d’un Robert Crumb et d’un Roland Topor. Après le film d’adolescents, la comédie musicale, ou la science-fiction, il s’essaie aujourd’hui au film d’action en immersion dans l’Amérique profonde, inaugurant en même temps une collaboration avec son cadet, l’autodidacte intégral Jim Lujan.

Voici le pitch. « Face de mort », ex-biker et ex-catcheur devenu sénateur plus que pourri, cherche à récupérer des documents compromettants pour sa carrière, dérobés par une jeune femme résolue dénommée Lana. Il engage pour ce faire quatre des meilleurs chasseurs de primes du pays, parmi lesquels se détache la figure d’un sosie de Woody Allen, qui passe son temps à répondre à sa mère au téléphone. Leur enquête les mènera du côté d’un gang de motards bas du front et ultraviolents…

S’ensuit une course tarantinesque où l’avidité, la bêtise crasse, la violence et la vengeance, l’humour et l’atrocité se donnent joyeusement la main. Tout ce que l’Amérique compte de détraqués apparaît ici – ploutocrates corrompus, néonazis énervés, show-business dégénéré –, nous envoyant un signe opportunément sournois et renfrogné de l’ère Trump. Si l’on ne retrouve pas la poésie insolite qui fait tout le sel de son univers, cette collaboration de Plympton avec Jim Lujan fournit manifestement au réalisateur une occasion de toucher plus largement qu’à l’ordinaire. Jacques Mandelbaum

Film d’animation américain de Bill Plympton et Jim Lujan (1 h 16).

À LA BASTILLE ON L’AIME BIEN : « L’Opéra », de Jean-Stéphane Bron

L'OPÉRA Bande Annonce (Documentaire Français - 2017)
Durée : 01:59

Observateur aguerri des institutions, fin analyste de leur(s) (dys) fonctionnement(s), Jean-Stéphane Bron est l’auteur d’une poignée de documentaires passionnants. Ceux-ci l’ont conduit, entre autres, au cœur du champ de ruines de la crise des subprimes, dans la ville de Cleveland, qui assignait un consortium de banques en justice en espérant lui faire payer la facture (Cleveland contre Wall Street, 2010) et dans l’intimité d’un homme politique d’extrême droite en pleine campagne électorale (L’Expérience Blocher, 2013). A l’initiative de Philippe Martin, son producteur, passionné d’opéra, le voilà qui revient avec un documentaire sur l’Opéra de Paris.

On pouvait s’attendre, de la part de ce Suisse opiniâtre, qu’il lève le voile sur la cuisine interne de la maison. Mais sa caméra est restée à la lisière du chaudron. Dans ce documentaire qui s’ouvre par un briefing préconférence de presse où ceux qui s’apprêtent à présenter aux journalistes la nouvelle saison de l’opéra rodent leurs derniers éléments de langage, tout se déroule comme s’il avait été soigneusement maintenu à l’écart des débats brûlants.

Faisant visiblement contre mauvaise fortune bon cœur, Jean-Stéphane Bron s’est soumis au pouvoir de cette machine de guerre, et a pris le parti d’en célébrer le génie. C’est ce qui fait, finalement, la beauté de son film. Furetant dans tous les recoins du navire amiral de la Bastille, L’Opéra se présente comme le tableau impressionniste d’une ruche bourdonnant de chant, de musique, de danse… Une usine de sons et de lumière qui tend entièrement à faire rayonner la perfection de ses productions. Isabelle Regnier

Documentaire français de Jean-Stéphane Bron (1 h 50).

UNE CAMÉRA POUR PASSEPORT : « Les Sauteurs », de Moritz Siebert, Estephan Wagner et Abou Sidibé Bakar

LES SAUTEURS Bande Annonce (Documentaire Marocain sur les Migrants - 2017)
Durée : 03:02

S’il est un reproche que l’on ne peut adresser au cinéma du XXIe siècle, c’est d’avoir ignoré le sort des migrants, des réfugiés, des populations déplacées par les crises qui convulsent la planète. Qu’ils arpentent une planète de fiction (les Afghans de In This World, de Michael Winterbottom, en 2002) ou que le cinéma les ait arrachés à la réalité (les naufragés de Fuocoammare, de Gianfranco Rosi), leur figure et leur sort sont devenus familiers à qui fréquente régulièrement les salles d’art et essai ou les festivals de cinéma. Au risque de la lassitude, de l’indifférence. Pourquoi donc ajouter un titre à cette longue liste ?

Moritz Siebert et Estephan Wagner, les initiateurs allemand et chilien des Sauteurs, présentent un argument imparable : ce qu’ils nous donnent à voir est tout à fait inédit. Cette fois, la caméra n’est pas tenue par un observateur plein de compassion ou de fureur, mais par le protagoniste même de cette odyssée répétée à l’infini, Abou Bakar Sidibé, jeune Malien qui s’est trouvé bloqué au nord du Maroc sur la montagne de Gourougou, surplombant l’enclave espagnole de Melilla. C’est à lui qu’incomba de filmer la communauté d’émigrés ouest-africains qui cherchent à franchir les clôtures imposantes et les fossés qui entourent ce petit morceau d’Europe. Cette démission délibérée des réalisateurs produit un film forcément approximatif, mais aussi des images neuves, nées d’un autre regard, celui que porte un homme qui a mis sa vie en jeu sur l’épreuve qu’il traverse. Thomas Sotinel

Documentaire danois et français de Moritz Siebert, Estephan Wagner et Abou Bakar Sidibé (1 h 22).

LE TOURBILLON DE LA VIE : Rétrospective Jacques Becker à la Cinémathèque Française

Jacques Becker Bande annonce
Durée : 01:02

Quelle meilleure manière de fêter le printemps qu’une rétrospective Jacques Becker ? Foisonnante comme un bouquet de fleurs sauvages, l’œuvre de ce cinéaste se donne à voir comme une célébration du mouvement de la vie. La recension froide de ses films les plus célèbres pourrait donner une impression contraire : Touchez pas au grisbi, film de gangsters qui solde la fin de carrière d’un truand magnifique et le crépuscule d’un âge d’or ; Casque d’or, drame passionnel chez les malfrats du Paris de la Belle Epoque ; Le Trou, fable morale au cordeau située dans le cadre austère de la prison de la Santé qui dialogue avec le film de Robert Bresson, Un condamné à mort s’est échappé

Mais il suffit de s’y plonger, comme la Cinémathèque française y invite tout au long du mois d’avril, pour constater à quel point, en dépit de leur dimension tragique, ou de leur noirceur, ces films ont en partage un même élan fougueux qui emporte leurs personnages et investissent leurs moindres gestes d’un relief sensible, d’une vitalité vibrante. Sans poser d’autres limites à son art que celles de la grande liberté que lui donnait sa maîtrise de la technique et du langage du cinéma, et d’un sens moral qu’il avait chevillé au corps, ce grand passionné de musique – de jazz en particulier –, de danse, de peinture mettait un point d’honneur à changer régulièrement de registre, quitte à dérouter, à force, les critiques qui s’étaient enthousiasmés pour ses débuts. I. R.

Rétrospective Jacques Becker à la Cinémathèque française. 51, rue de Bercy. Tél. : 01-71-19-33-33. Plein tarif : 6,50 euros, tarif réduit : 5,50 euros, moins de 18 ans : 4 euros. www.cinematheque.fr
Ressortie en salles de trois films à partir du 19 avril : Casque d’or, Touchez pas au grisbi, Le Trou.