Après les mots de condamnations, les menaces. Mercredi 5 avril, Nikki Haley, l’ambassadrice américaine auprès des Nations unies (ONU), qui préside le conseil de sécurité pour le mois d’avril, a brandi en pleine réunion deux photos insoutenables d’enfants tués la veille dans le bombardement – très certainement à l’arme chimique – contre la ville syrienne de Khan Cheikhoun. A deux reprises, elle a insisté sur la possibilité que Washington mène une action unilatérale, sans apporter plus de précisions, fustigeant la Russie pour n’avoir pas su tempérer son allié syrien.

« Quand les Nations unies échouent constamment dans leur mission d’agir collectivement, il y a des moments dans la vie des Etats où nous sommes obligés d’agir nous-mêmes », a insisté la diplomate qui utilise de plus en plus l’arène de l’ONU comme caisse de résonance des annonces de politiques étrangères de l’administration Trump.

« Ces actes odieux du régime d’Assad ne peuvent être tolérés »

Le conseil de sécurité était réuni en urgence, mercredi, dans l’espoir de voter une résolution proposée par Paris, Londres et Washington condamnant les attaques chimiques, soutenant une enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et appelant la Syrie à fournir les plans de vol ainsi que toute information sur des opérations militaires au moment de l’attaque. Mais le vote a dû être repoussé sine die faute d’accord avec la partie russe, le représentant adjoint de Moscou, Vladimir Safronkov, ayant d’emblée jugé toute résolution « inutile » et dénoncé l’attitude « biaisée » et « l’obsession du conseil de sécurité pour un changement de régime ».

Les uns après les autres, les diplomates ont tenté de démonter l’argument russe d’une fuite d’armes chimiques entreposées par les rebelles dans un dépôt bombardé par les forces gouvernementales syriennes, en apportant la preuve de l’implication du régime syrien dans cette attaque, le seul à disposer d’une aviation. « Une nouvelle fois, des substances toxiques létales ont été utilisées et larguées depuis les airs. (…) Les symptômes rapportés par les personnes sur place et visibles sur les images de l’attaque ne sont pas caractéristiques du chlore mais laissent penser à l’emploi d’une substance bien plus agressive », a insisté François Delattre, le représentant français, qualifiant « d’acte de barbarie » cette attaque, qui a fait selon le dernier bilan 86 morts dont une trentaine d’enfants.

A la Maison Blanche, où Donald Trump recevait le roi Abdallah II de Jordanie, le bombardement en Syrie a éclipsé tous les autres sujets du jour. Le président a progressivement haussé le ton au cours de sa conférence de presse tenue avec son visiteur, sans jamais évoquer nommément la Russie.

M. Trump, manifestement frappé par les images du drame, a tout d’abord condamné « une attaque chimique (…) tellement horrible, en Syrie, contre des innocents, y compris des femmes, des petits enfants, et même de beaux petits bébés », jugeant que « leur mort est un affront à l’humanité ». « Ces actes odieux du régime d’Assad ne peuvent être tolérés », a ajouté M. Trump, sans en dire plus dans un premier temps, assurant que « beaucoup de lignes, au-delà de la ligne rouge » avaient été franchies avec ce raid.

« Je change et je suis flexible », assure Trump

Interrogé par la presse, le président est revenu sur le sujet, en pointant tout d’abord la responsabilité de son prédécesseur, comme il l’avait fait dans un communiqué rendu public la veille. « L’administration Obama avait eu une occasion pour régler cette crise », a-t-il dit dans une allusion à la ligne rouge fixée en 2012 par le président démocrate à propos de l’éventualité du recours par le régime syrien à des armes non conventionnelles. M. Obama n’avait cependant pas réagi à des bombardements chimiques imputés à l’armée, un an plus tard. « C’était une menace en l’air », a ajouté M. Trump.

Invité à détailler en quoi la position américaine serait différente sous sa responsabilité, M. Trump a assuré : « Je change et je suis flexible, et je suis fier de cette flexibilité. Et je vous dirais que l’attaque contre les enfants hier a eu un grand impact sur moi, un grand impact. C’était horrible, horrible. Et je l’ai regardé et je l’ai vu, et il n’y a rien de pire. »

« Mon attitude envers la Syrie et Assad a beaucoup changé », a-t-il poursuivi, alors qu’il n’avait pas évoqué publiquement cette question depuis que l’ambassadrice aux Nations unies, Nikki Haley, avait déclaré le 30 mars que le départ du pouvoir du président syrien n’était pas une priorité de la nouvelle administration. M. Trump, qui a souvent fait l’éloge de l’imprévisibilité, a ajouté : pour tout ce qui touche aux questions militaires, « je n’aime pas dire où je vais, ni ce que je vais faire ».

Dans les couloirs feutrés de la diplomatie mondiale, les remarques de M. Trump et de son ambassadrice suscitent le scepticisme, certains y voyant « un coup de bluff » et une posture « pour se racheter à bon compte une position de fermeté sur la Syrie alors qu’ils sont complètement désengagés ». M. Delattre, estime lui aussi que les « efforts visent à la fois à exercer une pression maximale sur la Russie et à encourager un réengagement américain sur le dossier syrien » pour aboutir à un règlement politique en Syrie.

Paradoxalement, après avoir publiquement récusé toute idée de résolution, les Russes seraient plus enclins à négocier, selon une source qui estime qu’ils se sentent dans un « mauvais cas moral » et « utilisés par le régime de Damas », ce qui pourrait les convaincre d’aboutir à un texte de compromis condamnant ces attaques chimiques.