Pochette de l’album « Sadhana », de Kishori Amonkar. | AUDIOREC CLASSICS

Elle était considérée comme l’une des plus éminentes chanteuses classiques de l’Inde. Née le 10 avril 1932, à Bombay (Mumbai, depuis 1995), Kishori Amonkar allait fêter ses 85 ans. Elle est morte lundi 3 avril dans sa ville natale, à son domicile, où elle continuait à enseigner. Après Gangubai Hangal, de quinze ans son aînée, décédée en 2009, Kishori Amnkar était, avec Girija Devi (87 ans), la doyenne du chant khyal, un style vocal de la musique hindoustanie (musique classique de l’Inde du Nord), apparu au milieu du XVIIIe siècle à la cour des Moghols, qui succéda à la tradition dhrupad. Ses cachets comptaient parmi les plus élevés en Inde, d’où elle ne sortait que rarement.

Paris l’avait cependant accueillie à plusieurs reprises. La première fois, en 1985, au Théâtre du Rond-Point, pour le Festival d’automne, puis au Théâtre de la Ville, en 1990, accompagnée par la star du tabla, Zakir Hussain, et ensuite, en 1999, pour deux concerts, dont un le dimanche 18 avril, à 11 heures, avec, au tabla, Balkumar Krishnan Iyer (présent à ses côtés sur un album paru peu de temps avant sur le label Navras, Ragas Shuddh Kalyan & Suha). Ceux qui avaient eu la bonne idée de ne pas flemmarder au lit pour une grasse matinée dominicale l’ont vue arriver sur scène, ce jour-là, drapée de mauve, de noir et d’orange.

Sahela Re Kishori Amonkar
Durée : 06:12

Une « éblouissante palette vocale »

« C’est un plaisir de rêver à un monde de couleurs… », disait-elle. « Elle avait beaucoup de fantaisie. Un jour, je l’ai vue porter un sari orné de petites fleurs qu’elle avait peintes elle-même et le bruit courait qu’elle était capable d’exiger un éléphant en fond de scène », nous déclare Christian Ledoux, qui avait fait venir Kishori Amonkar au Théâtre de la Ville. Il évoquait alors, dans les notes de programme, son « éblouissante palette vocale », la décrivait comme « une femme libre, une artiste puissamment originale ».

Kishori Amonkar chantait en enlaçant un swaramandal (instrument à cordes métalliques tendues sur une caisse de résonance), et déroulait sa voix ombrée, dans la brume légère des tampuras. Sa voix glissait de l’ombre à la lumière en ornementations délicates. Plus fluide, plus léger, que le chant dhrupad, le khyal fut enseigné à Kishori Amonkar par sa mère, la chanteuse Mogubai Kardikar (1904-2001), disciple d’Alladya Khan (1855-1946), fondateur de la gharana (école stylistique) de Jaipur.

Kishori Amonkar- Rag Haunsadhwani (Tarana)
Durée : 08:58

Après les débuts de sa carrière, peu après vingt ans, Kishori Amonkar perdit totalement la voix

Si elle a également suivi l’enseignement d’autres maîtres, par la suite, elle considérait sa mère comme son unique « guru », raconte Christian Ledoux. Son enseignement avait été particulièrement rigoureux, soulignait la chanteuse : « Elle me grondait au début de toutes nos séances pratiques ; elle anéantissait complètement mon ego et refusait de répéter une phrase plus de trois fois. Si je n’arrivais pas à reproduire l’exercice, la voilà qui quittait soudain la pièce. »

Ces premières expériences de transmission avec sa mère, qu’elle accompagnera sur scène, au tampura (instrument à cordes), ne seront sans doute pas pour rien dans le caractère exigeant et déterminé de Kishori Amonkar qui, après les débuts de sa carrière, peu après vingt ans, perdit totalement la voix. Elle cessa de chanter pendant deux ans, avant de retrouver ses pleines capacités vocales et de trouver sa propre expressivité, revendiquant toujours une certaine liberté dans ses choix d’’interprétation, refusant de se plier à des règles stylistiques qu’elle jugeait trop rigides.

« La plus grande chanteuse hindoustanie de tous les temps »

Interprète renommée et adulée du chant khyal, la chanteuse avait également abordé des genres plus « légers », tels que le thumri ou le chant dévotionnel bhajan, et même prêté sa voix à des musiques de films. Elle laisse derrière elle une discographie conséquente parmi laquelle de remarquables duos avec Hariprasad Chaurasia, figure illustre de la flûte bansuri.

Dans Bhinna Shadja, un documentaire réalisé en 2011 par Amor Palekar (disponible en intégralité sur YouTube, mais non traduit, du marathi, ni sous-titré), Zakir Hussain parle d’elle comme de « la plus grande chanteuse hindoustanie de tous les temps ». Les autorités indiennes lui ont attribué deux des plus hautes décorations civiles (Padma Bhushan, en 1987, et Padma Vibhushan, en 2002). « Le décès de Kishori Amonkar est une perte irréparable pour la musique classique indienne », tweetait le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, après le décès de la chanteuse.

Kishori Amonkar en quelques dates

10 avril 1932
Naissance à Bombay

1985
Premier concert à Paris

1987
Décorée de la Padma Bhushan

2002
Reçoit la Padma Vibhushan

2010
Publie l’ouvrage (en marathi) Swaraartha Ramani, dans lequel elle développe sa propre vision de la théorie et de la pratique musicales

2011
Le réalisateur Amor Palekar lui consacre un documentaire, Bhinna Shadja

3 avril 2017
Meurt à Mumbai (ex-Bombay)

Sur le Web : une liste des vidéos avec Kishori Amonkar disponibles sur YouTube et la page Facebook consacrée à la chanteuse indienne.