LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine vous aurez le choix entre le récit d’une filiation bousculée par les affres de l’exil ; un roman qui débarque en France auréolé de la polémique qu’il a suscitée en Israël, le dernier roman de l’écrivain Bruno Bayen et la succulente chronique de la fin de règne de François Hollande brossée par Patrick Rambaud.

ROMAN. « Elève », de Bruno Bayen

C’est un art que Bruno Bayen aura pratiqué toute sa vie : celui de la fugue. Ecrivain, dramaturge et metteur en scène, il glissait d’une forme d’écriture à l’autre, faussant compagnie aux identités assignées, célébrant, de pièces de théâtre en récits, les voyages et tous les moyens de se faire la belle, de se tenir hors d’atteinte. Bruno Bayen s’est échappé pour de bon le 9 décembre 2016, à l’âge de 66 ans. Non sans avoir laissé derrière lui un dernier roman, son dixième. Peuplé de dictionnaires, encyclopédies et autres annuaires, Elève pourrait se définir comme une sorte de répertoire existentiel.

Le narrateur, Just, y classe des épisodes et des éléments constitutifs de son identité, avant tout à travers son rapport au langage. Ecrit d’une plume superbement tenue, Elève est un livre rêveur et caustique, surprenant, où la mélancolie se mêle à un humour impavide, où la narration de « Terre à Terre » (le surnom, enfant, de Just) est traversée par des passages plus mystérieux.

C’est le roman d’un double apprentissage : celui de l’amour des mots, mais aussi du goût du silence, seule réponse à opposer au monde pour s’en préserver. Bruno Bayen fut décidément un magnifique écrivain de la fugue, de la vie intérieure et de la solitude. Raphaëlle Leyris

CHRISTIAN BOURGOIS

Elève, de Bruno Bayen, Christian Bourgois, 304 p., 16 €.

RECIT. « Mostarghia », de Maya Ombasic

Quand la guerre qui va déchirer les Balkans éclate, en 1991, Maya Ombasic habite à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, elle a 12 ans, et elle est se trouve « à califourchon sur une branche de cerisier ». Dans Mostarghia, elle relate ses années de guerre puis d’exil, en Suisse, où sa famille a obtenu le statut de réfugié, puis au Canada.

Mais c’est avant tout à la figure de son père que ce récit est consacré, ce père détruit par l’exil, qui n’a jamais essayé d’apprendre la langue de ses pays d’accueil, qui a noyé sa souffrance dans l’alcool, et transformé les siens, à commencer par sa fille, en interprètes personnels permanents.

Mostarghia n’est pourtant pas une lettre au père sous forme d’acte d’accusation ; c’est plutôt un très fort récit de filiation, à travers lequel l’auteure cherche à démêler ce que la parfaite Canadienne qu’elle est devenue, professeure de philosophie habituée à faire usage de sa raison pour mettre à distance la folie du monde, doit à son père et à Mostar, sa ville de naissance. Florence Bouchy

FLAMMARION

Mostarghia, de Maya Ombasic, Flammarion, 240 p., 18 €.

ROMAN. « Sous la même étoile », de Dorit Rabinyan

Accusé par un ministre israélien de menacer « le maintien de l’identité juive », pas moins, Sous la même étoile arrive en France auréolé de ce scandale. Mais il faut lire troisième roman de Dorit Rabinyan pour ce qu’il est d’abord : le récit, particulièrement juste, d’une longue résistance à l’amour. Liat, une Israélienne de 29 ans, se souvient. De sa rencontre avec Hilmi, ce peintre Palestinien qui vivait à New York, où elle-même était installée pour quelques mois. Elle se souvient que, dès leur première nuit, elle condamna leur amour, pourtant d’une évidence rare : « Quel gâchis ce sera de renoncer à Hilmi. »

Elle se souvient des coups de téléphone à sa famille chaque veille de shabbat, et de leur « Tu t’es déjà trouvé quelque nice jewish boy là-bas ? » Par peur de les décevoir sans doute, par souci de se protéger certainement, Liat décide de cloisonner leur amour, ce qui finit par blesser celui qui se voit dès lors, et c’est ainsi qu’il le lui dit, comme « l’Arabe secret et temporaire dont tu es amoureuse ».

Mais si tout ce qui les sépare existe, il y a tout ce qui les rapproche. Leur amour, aussi éclatant que leurs rires. Et puis leur affection pour leur terre natale, ses couleurs, ses odeurs, tout ce que Dorit Rabinyan retranscrit dans ce roman d’une grande sensualité, beaucoup trop beau pour être réduit à la polémique qui l’a fait connaître en dehors de son pays. Emilie Grangeray

LES ESCALES

Sous la même étoile (Gader haya), de Dorit Rabinyan, traduit de l’hébreu par Laurent Cohen, Les Escales, 320 p., 21,90 €.

SATIRE. « Chronique d’une fin de règne », de Patrick Rambaud

Cinq ans durant, la France fut, sans s’en apercevoir, une « peuplade sauvage du Paraguay ». C’est Patrick Rambaud qui l’écrit, en citant les travaux menés dans les années 1970 par l’ethnologue Pierre Clastres sur les Indiens Guayaki, tribu primitive où le chef est celui qui parle, peu importe ce qu’il a à dire. Ainsi François Hollande s’exprima-t-il beaucoup durant son quinquennat, mais pour ne pas exprimer grand-chose, raille l’écrivain dans cette nouvelle Chronique.

Pour camper le toujours chef de l’Etat, Rambaud a trempé sa plume dans le même vitriol que celui avec lequel il a peint la présidence de Nicolas Sarkozy. De François le Simplet, il fait un monarque sans épaisseur qui se complaît dans le « flou, cet état cotonneux et mol ». Que Hollande se console : il n’est pas le seul à se faire habiller pour l’hiver.

Attaché à n’omettre aucun événement de cette seconde partie de quinquennat (les attentats parisiens et niçois, la crise des migrants comme l’affaire du « burkini »…), Rambaud n’en dézingue pas moins la classe politique dans son ensemble. Il nous apprend, ainsi, qu’Emmanuel Macron a déjà existé sous les traits d’un préfet du prétoire romain, Naevis Sertorius Macro, l’assassin possible de l’empereur Tibère.

Sa description la plus caustique est toutefois réservée à François Fillon, reconnaissable à son « allure maladroite de Mister Bean, avec des sourcils fournis comme ceux de Groucho Marx [qui], cela prêtant à sourire, rassurait ». La charge a été écrite avant les révélations du Canard enchaîné. Frédéric Potet

GRASSET

Chronique d’une fin de règne, de Patrick Rambaud, Grasset, 210 p., 16,50 €.