Le dramaturge et poète au Théâtre du Rond-Point à Paris en juin 2005. | JACQUES DEMARTHON/AFP

L’été 2010, Armand Gatti est invité par le maire de Neuvic, en Corrèze, à diriger un stage avec des étudiants français et étrangers. A 86 ans, il retrouve les terres où il a rejoint le maquis quand il avait 17 ans. Dans L’Aventure de la parole errante, le livre d’entretiens avec le journaliste Marc Kravetz, il raconte comment il a été arrêté, condamné à mort et gracié en raison de son jeune âge, puis déporté au camp de Neuengamme, près de Hambourg, en Allemagne.

C’est là qu’il a eu la révélation du théâtre, en voyant une pièce jouée par des juifs baltes, qui tenait en trois phrases : « Ich bin. Ich war. Ich werde sein. » (« Je suis. J’étais. Je serai. »). Armand Gatti explique à Marc Kravetz, Prix Albert-Londres comme lui, que cette expérience a été essentielle pour ses créations futures. Puis il relate comment il s’est échappé du camp, et a refait à pied le même chemin que Hölderlin, de Hambourg à Bordeaux.

L’Aventure de la parole fait référence, et conforte les récits d’Armand Gatti qui ont ensuite été repris, et jamais contestés. Jusqu’au jour où Janine Grassin, la présidente de l’amicale de Neuengamme, a envoyé une lettre (18 octobre 2010) à Armand Gatti, avec copie au Monde, qui avait rendu compte du stage à Neuvic (23 août 2010). La lettre fait état d’une enquête menée en Allemagne et en France qui conclut que le nom d’Armand Gatti ne figure pas dans le livre mémorial de Neuengamme, ni dans celui de la Fondation pour la mémoire de la déportation.

« Des souvenirs très vifs »

Selon les investigations de l’amicale, Amand Gatti aurait travaillé, sans doute au titre du STO (service du travail obligatoire) pour la firme Lindemann, à Hambourg, une entreprise de construction de bateaux détruite, avec ses archives, par les bombardements de 1943. Le témoignage de John-Carsten Lindemann, le fils de l’ancien propriétaire, contacté par l’amicale, indique que « Lindemann n’était pas un kommando [unité de travail forcé] du camp de concentration de Neuengamme, ni d’un autre camp », et qu’« il n’y avait pas de détenus parmi les employés ».

Dans sa lettre, l’amicale de Neuengamme met au premier plan la question de la déportation. « Eu égard aux déportés véritables et aux souffrances qu’ils ont endurées, écrit Janine Grassin, nous vous prions de ne plus usurper le titre de déporté. » Armand Gatti a répondu à cette lettre le 8 avril 2011 : « Je n’ai jamais été au camp de Neuengamme, mais j’ai souvent raconté que je me suis trouvé près de Neuengamme dans un camp de travail dont, il est vrai, le nom a été déformé : Lindemann en Lindermann. Il m’en reste des souvenirs très vifs, bien différents de ce que raconte le petit-fils de M. Lindemann (…) La mienne a-t-elle moins de valeur que celle du fils d’un entrepreneur allemand qui fit ­travailler de la main-d’œuvre contrainte ? (…) Enfin, pour terminer, vous parlez de STO. Je n’en étais pas. »

Ce dernier point a été confirmé, après une enquête menée par l’entourage d’Armand Gatti, dont l’amicale de Neuengamme a pris acte de la réponse, le 22 avril : « Je n’ai jamais été au camp de Neuenngamme. Cela nous suffit. » En juillet, l’amicale de Matthausen a tenu la même position, dans son bulletin, en reconnaissant l’amende honorable « d’un dramaturge de grand talent, très impliqué dans son époque ».