Donald Trump fait une déclaration après le tir de missiles sur la Syrie, le 6 avril. | Alex Brandon / AP

Les Etats-Unis sont spectaculairement passés à l’attaque contre la Syrie, jeudi 6 avril, en début de soirée, avec les frappes militaires contre une base de l’armée syrienne. Le bombardement à l’arme chimique d’un village tenu par les rebelles syriens, Khan Cheikhoun, mardi 4 avril, imputé au régime, a fait basculer la nouvelle administration. Selon les Etats-Unis, les avions impliqués dans l’attaque de mardi étaient partis de la base ciblée.

Alors que les discussions s’enlisaient aux Nations unies sur le contenu de résolutions condamnant l’attaque, l’administration n’avait cessé auparavant d’afficher sa détermination. « Ce qu’Assad a fait est terrible. Ce qui s’est passé en Syrie est une honte pour l’humanité et il est au pouvoir, donc je pense que quelque chose devrait se passer », avait indiqué le président Donald Trump à bord de l’Air Force One qui le conduisait à une rencontre importante avec son homologue chinois, Xi Jinping, en Floride.

Le secrétaire d’Etat Rex Tillerson avait promis « une réponse appropriée à cette attaque aux armes chimiques qui viole toutes les résolutions précédentes des Nations unies [et] les normes internationales ». M. Tillerson avait également demandé publiquement à la Russie, allié militaire du régime de Bachar Al-Assad, de reconsidérer leur soutien au président syrien.

Changement de priorité

Ce revirement est intervenu alors que la nouvelle administration s’était publiquement résignée, le 30 avril, à la résilience de Bachar Al-Assad. En visite en Turquie, M. Tillerson avait tout d’abord assuré que « le sort du président Assad, à long terme, sera décidé par le peuple syrien ». L’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley avait été encore plus précise en assurant que Washington devait « choisir ses batailles ». « Quand vous regardez la situation, il faut changer nos priorités, et notre priorité n’est plus de rester assis là, à nous concentrer pour faire partir Assad », avait-elle ajouté.

Cette résignation remontait en fait beaucoup plus amont. Pendant la campagne présidentielle, M. Trump avait copieusement critiqué la double opposition américaine, à la fois à l’organisation Etat islamique (EI) et au régime de Bachar Al-Assad, la jugeant improductive. Dans un entretien au New York Times, en juillet 2016, il avait qualifié le président syrien de « sale type » qui « a fait des choses horribles ». Mais il avait ajouté vouloir donner la priorité au combat contre les djihadistes. En février, le président syrien avait envoyé un message à son attention en défendant son décret anti-immigration, bloqué par la justice, qui pénalisait particulièrement les réfugiés et les migrants syriens.

Tournant à 180 degrés

Les images des victimes du bombardement du 4 avril ont manifestement tout remis en cause. Après un premier communiqué dénonçant tout autant l’attaque imputée et l’impuissance de l’administration précédente, M. Trump est revenu à plusieurs reprises sur son caractère « horrible », mentionnant notamment le sort de nourrissons pris au piège, mercredi dans les jardins de la Maison Blanche, aux côtés du roi Abdallah II de Jordanie, puis jeudi au cours de la brève allocution prononcée après les frappes.

Cette réaction était d’autant moins prévisible que Donald Trump avait enjoint publiquement au président Barack Obama de ne pas intervenir en Syrie en 2013 après le recours à des armes chimiques dans la banlieue de Damas, en août. Ces attaques avaient pourtant causé bien plus de morts que celle de mardi. M. Barack avait jugé douteux les bénéfices de frappes, pour lesquelles avait plaidé avec force son secrétaire d’Etat, John Kerry, qui jugeait que la crédibilité américaine était en jeu.

Les républicains approuvent

La décision prise par M. Trump, qui avait assuré ne pas vouloir jouer le rôle de « gendarme du monde » a été saluée par les « faucons » républicains, notamment les sénateurs Marco Rubio (Floride), Tom Cotton (Arkansas) et surtout John McCain, président de la commission des forces armées du Sénat et critique parmi les plus incisifs de la présidence Trump. Elle a été en revanche critiqué par le sénateur républicain Rand Paul (Kentucky), un libertarien hostile à toute forme d’interventionnisme.

Les images tournées par l’armée américaine de missiles Tomahawk quittant les pontons des bateaux d’où ils étaient tirés ont ramené les États-Unis vingt ans en arrière, lorsque le président Bill Clinton ordonnait des frappes similaires contre l’Irak de Saddam Hussein. Ce rappel historique souligne d’ailleurs les limites des interventions de ce type.

Après l’annonce des frappes, le secrétaire d’Etat, qui doit se rendre le 12 avril pour la première fois à Moscou, a mis en cause la Russie, jugée incapable de faire respecter l’accord qu’elle avait suggéré pour mettre un terme à la crise de 2013. Moscou s’était fait fort de s’entendre avec Damas pour obtenir qu’il remette toutes ses armes non-conventionnelles. M. Tillerson a laissé entendre que les frappes de jeudi ne marquaient pas le début d’une campagne plus vaste.

M. Trump a montré pendant la campagne qu’il n’avait pas de goût pour les changements de régime. La riposte américaine au bombardement, circonscrite à une base aérienne, semble vouloir principalement faire passer le message que le président syrien n’aura pas les mains libres comme avec l’administration précédente, et que M. Trump est déterminé à faire respecter ses propres « lignes rouges ».

Ce message qui sera également reçu à Pyongyang, l’autre adversaire des États-Unis qui multiplie actuellement les tirs balistiques pour tester Washington. Mais les tirs de jeudi soulèvent une question pour l’instant sans réponse : que veut vraiment Donald Trump en Syrie ?