Haro sur l’Europe ! De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, la plupart des candidats à la présidentielle ont multiplié les charges contre l’Union européenne, lors du débat à onze organisé par BFM-TV et CNews, mardi 4 avril. Quitte, par moments, à verser dans la caricature et à développer des arguments erronés. Retour sur sept de leurs affirmations.

Les mauvais exemples protectionnistes de Marine Le Pen

Interrogée par les journalistes sur « les rétorsions » que les partenaires commerciaux de la France pourraient lui infliger si elle mettait en place son « protectionnisme intelligent », Marine Le Pen a déclaré :

[[lepen|« Je vous rappelle quand même que la Suisse a des droits de douane agricoles, je crois, de près de 55 %. Que la Corée du Sud a des droits de douane agricoles de près de 41 %. Et ils vont très bien. »]]

POURQUOI C’EST FAUX

Cela n’a guère de sens de parler, comme Marine Le Pen le fait, de droits de douane agricoles en général, car ceux-ci varient énormément en fonction de plusieurs critères : le pays d’origine, le type de produit agricole et la quantité importée. Mais si elle souhaite le faire, soit. La télévision suisse RTS a calculé que le taux moyen de droit de douane pour les produits agricoles entrant en Suisse s’élevait plutôt à 5,1 % – très loin des 55 % mentionnés par la candidate FN, donc.

Quoi qu’il en soit, l’exemple de la Suisse est très mal choisi, car elle dispose d’accords commerciaux préférentiels avec son principal partenaire commercial, l’Union européenne – d’où proviennent les trois quarts de ses importations agricoles. Il n’y a par exemple plus de droits de douane sur le fromage depuis 2007. Difficile, dès lors, d’en faire un symbole du « protectionnisme positif ».

Quant à la Corée du Sud, elle a fait le chemin inverse du protectionnisme, en signant en 2011 un accord commercial avec l’Union européenne. Depuis, ses droits de douane ont été progressivement réduits ou supprimés, avec un effet positif sur les échanges commerciaux entre les deux blocs, en forte augmentation.

Le « salami » trompeur de François Asselineau

[[asselineau|« Si les services publics sont actuellement démantelés, c’est sous la pression de l’Union européenne [...] L’article 106 [...] nous impose progressivement avec une tactique du salami de privatiser les uns après les autres tous les grands services publics à la française. »]]

POURQUOI C’EST FAUX

Par « tactique du salami », François Asselineau fait référence à une expression inventée pour décrire l’élimination progressive des pouvoirs extérieurs au communisme, « tranche après tranche, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien ». Selon lui, les services publics français ont donc vocation à subir le même sort à cause de l’Union européenne.

L’article 106 du traité de fonctionnement de l’UE pose effectivement des grands principes de libéralisation des services, y compris des services publics. Mais M. Asselineau commet deux erreurs :

1. Il confond libéralisation et privatisation :

  • La libéralisation consiste à ouvrir un secteur autrefois monopolistique à la concurrence, sans toutefois tuer ou privatiser l’opérateur « historique ». Ainsi, La Poste n’a pas disparu malgré l’apparition de concurrents privés (et elle est restée publique).

  • La privatisation consiste à vendre une entreprise publique à des actionnaires privés. C’est parfois la suite logique de la libéralisation (ce fut le cas d’Air France), mais c’est une décision totalement indépendante des traités européens, qui dépend du gouvernement français (et généralement motivée par des enjeux budgétaires).

2. Il se trompe de cible. En effet, ce n’est pas l’article 106 en tant que tel qui impose de libéraliser les différents secteurs. Sinon, cela fait belle lurette que tous les services publics seraient libéralisés, car cette disposition figure dans les traités européens depuis 1957.

La politique européenne de libéralisation repose en fait sur des directives et règlements européens qui s’attaquent à chaque fois à un marché particulier : les services postaux en 1997 et 2002, l’électricité et le gaz en 1996, 1998 et 2003, le transport aérien en 1997, etc. Il faut bien comprendre que ces « paquets de libéralisation » ne sont pas imposés de façon unilatérale par la Commission européenne, mais discutés avec les gouvernements européens et le Parlement européen.

Ainsi, la France et l’Allemagne ont réussi en 2016 à défendre leurs intérêts dans la négociation sur la libéralisation ferroviaire – en obtenant notamment que la SNCF et la Deutsche Bahn ne soient pas démembrées, contrairement à ce que souhaitaient les tenants de la libéralisation.

La grosse ficelle de Jean Lassalle sur l’électricité allemande

[[lassalle|« Je rappellerai aussi à Madame Merkel, si elle est toujours là, que certes, et c’est bien, elle a enlevé ses centrales nucléaires. Mais nous lui fournissons quand même pratiquement les deux tiers de son énergie pour l’euro symbolique. »]]

POURQUOI C’EST FAUX

Jean Lassalle se livre ici à une curieuse analyse. D’abord, il faut tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle la sortie du nucléaire engagée en Allemagne aurait conduit à une explosion, sur le long terme, de la part du charbon dans la production d’électricité. En réalité, il y a bien eu une hausse de la part du charbon entre 2011 et 2013, mais cette dernière a ensuite décru pour atteindre environ 40 % en 2016, à son niveau le plus faible depuis 1990. La part des énergies renouvelables a, quant à elle, nettement augmenté, passant de 20 % à près de 30 % du total.

Par ailleurs, Jean Lassalle affirme que la France fournit les deux tiers de son énergie à l’Allemagne, faisant semble-t-il référence à l’électricité. Pourtant, selon RTE-France, la France a au contraire plus importé d’électricité d’Allemagne (13,2 GW) qu’elle en a exportée (7,3 GW) en 2014.

L’analyse des flux d’électricité entre pays dans le détail est certes plus complexe que l’étude des seuls flux aux frontières entre deux pays, puisqu’il peut y avoir des mécanismes de transit par des pays tiers, et parce que les besoins des pays respectifs ne sont pas constants au cours de l’année.

Néanmoins, la situation globale de la France et de l’Allemagne est sans appel : selon RTE-France, les deux pays avaient, sur la période 2015-2016, les soldes exportateurs d’électricité les plus élevés (respectivement + 65 TWh et + 52 TWh) des pays membres du réseau électrique européen. Cette situation n’empêche pas les deux pays d’échanger de l’électricité, mais la dépendance de l’Allemagne « aux deux tiers » à l’énergie française évoquée par Jean Lassalle ne se traduit pas dans les faits.

L’argument trompeur de Jean-Luc Mélenchon sur l’harmonisation sociale

[[melenchon|« L’harmonisation sociale est interdite dans les traités européens. [...] Vous n’avez pas le droit de décider en Europe que, par exemple, tel niveau de cotisations sera le même partout. Vous n’avez pas le droit de décider que telle ou telle activité sociale va être la même partout. Vous n’avez pas le droit. »]]

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Ce n’est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon utilise cet argument, qui est pourtant trompeur. Certes, l’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne restreint nettement les possibilités d’harmonisation. En effet, on y lit que le Parlement européen et le Conseil ne peuvent adopter des mesures d’harmonisation « des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres ».

En revanche, on y lit aussi que les mêmes instances peuvent arrêter des « prescriptions minimales » dans les domaines des conditions de travail, de la protection sociale, de l’amélioration des conditions de santé et de la sécurité des travailleurs…

C’est ainsi, par exemple que la directive sur le temps de travail prévoit une durée de travail hebdomadaire maximale de quarante-huit heures, une période minimale de repos de onze heures par jour, un congé payé annuel d’au moins quatre semaines par an, etc.

Il s’agit certes d’une harmonisation par le bas, et toute relative. Mais il n’en reste pas moins tout à fait possible, dans les traités actuels, de faire évoluer cette situation, contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, qui prétend que le système serait intégralement verrouillé.

L’intox de Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau sur la contribution française à l’Union européenne

[[dupontaignan|« J’ai proposé depuis des années de prendre les 8 milliards d’excédents que nous donnons à l’Union européenne pour financer nos concurrents et de les rendre aux petits retraités : ça fait 100 euros par mois. »]]
[[asselineau|« Savez-vous mes chers compatriotes, que la France donne chaque année 23 milliards d’euros à l’Union européenne et n’en reçoit que 14. »]]

POURQUOI C’EST FAUX

Selon les chiffres du Parlement européen, la France a contribué à hauteur de 19 milliards d’euros au budget européen en 2015. A l’inverse, l’Union européenne a dépensé 14,5 milliards d’euros dans notre pays la même année, selon la même source. Soit une contribution nette de 4,5 milliards d’euros bien loin des 8 milliards ou 9 milliards évoqués par les deux candidats.

Par ailleurs, ce chiffre traduit un raisonnement simpliste. Il ne suffit pas à résumer le débat sur l’intérêt ou non d’être membre de l’Union européenne pour la France, puisqu’il ne compte pas tous les avantages et inconvénients indirects de cette situation. L’exemple des négociations sur le Brexit le montre, on ne peut résumer la situation par la contribution nette des Etats à l’Union européenne. Tout ce débat repose en réalité sur les bénéfices ou non du fait d’appartenir à l’Union européenne et à la zone euro.

L’intox de François Asselineau sur les recommandations économiques de l’UE

[[asselineau|« Si vous votez pour l’un des dix [autres] candidats [...] Il sera obligé, à partir du mois de mai, d’appliquer les grandes orientations de politique économique [...]. Vous serez obligés de constater que le président que vous aurez élu sera contraint de baisser l’impôt sur les sociétés, d’augmenter la TVA, de démanteler toutes les professions réglementées, d’ubériser la société, de démanteler les acquis sociaux parce que tout ceci est écrit dans ce document dont je recommande la lecture à tous les citoyens français. »]]

POURQUOI C’EST FAUX

François Asselineau fait ici référence aux « grandes orientations de politique économique » (GOPE) données au niveau européen. L’article 121 du traité de fonctionnement de l’UE dit effectivement que « les Etats membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ». Ce dernier élabore un projet pour les grandes orientations de politiques économiques des Etats membres et de l’Union.

Mais ce qu’il présente comme des consignes absolues, à laquelle la France devrait impérativement se plier, ne sont que des lignes directrices, sujettes à discussions et accommodements (et validées par les vingt-huit gouvernements). Les grandes orientations en question fixent des principes généraux, pas des feuilles de route précises.

Surtout, l’article 121 du traité ne prévoit aucune sanction contre les Etats qui ne respectent pas les GOPE, mais simplement la possibilité que le Conseil adresse des avertissements. Un exemple illustre bien cette souplesse : les fameux critères de Maastricht, qui prévoient notamment que le déficit des Etats ne dépasse pas 3 % du PIB. En pratique, la France a obtenu à plusieurs reprises un délai de la Commission européenne pour ne pas les respecter.

Ce discours caricatural de François Asselineau vise en fait à faire croire que le « Frexit » qu’il propose serait la seule alternative à la situation actuelle. Sauf que contrairement à ce qu’il affirme, les recommandations européennes sont loin d’être inamovibles et il n’est pas impossible dans l’absolu (bien que complexe) d’infléchir la politique européenne.