C’est le jeu vidéo qui a tout changé. Sorti le 31 mars 1998, StarCraft et ses histoires de guerres spatiales entre Terrans, Zergs et Protoss a bouleversé la planète du jeu de stratégie, en donnant naissance, quasi à lui seul, à l’e-sport. Depuis, aucun jeu du genre n’a vraiment pu réitérer l’exploit – pas même sa suite officielle, StarCraft II.

A quelques jours de son 19anniversaire, l’éditeur Activision Blizzard a annoncé une nouvelle version de son titre fondateur : la sortie de StarCraft Remastered, c’est son nom, est prévue pour cet été. Une célébration, mais aussi, peut-être, un aveu d’échec : et si Blizzard avait finalement renoncé à donner au premier épisode une suite à la hauteur de son culte ?

Pour Patrick Beja, ancien attaché de presse chez Blizzard et longtemps présentateur d’Azeroth.fr, podcast consacré à World of Warcraft, il s’agit sans doute pour l’éditeur d’une opportunité de faire un peu d’argent avec une simple mise à jour graphique, nettement moins onéreuse et plus rentable qu’un nouveau jeu.

« Cette version remastérisée sera vendue à un prix assez bas pour que les joueurs qui l’ont connu à l’époque mettent la main au portefeuille juste pour le plaisir. D’autres joueurs, plus jeunes, pourraient aussi être curieux de le découvrir, ou même simplement vouloir compléter leur collection de jeux Blizzard. »

« Beaucoup de gens vont vouloir le racheter pour le tester mais ils ne se rendent pas compte à quel point StarCraft était beaucoup plus dur que StarCraft 2, anticipe Frédéric Gau, cofondateur de Gaming Live et ancien manageur de l’équipe ACER de StarCraft. Il n’y a que ceux qui jouaient déjà à l’époque, voire ceux qui n’ont jamais arrêté, qui vont y jouer à fond. Je ne suis pas sûr que ça ressuscite une scène compétitive pour autant. »

StarCraft Remastered Announcement
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Loin des stades

Car l’aura de StarCraft s’est ternie depuis 1998. Aujourd’hui, les stars s’appellent League of Legends ou Dota II. Même sa suite, StarCraft II, sortie en 2010 et régulièrement mise à jour depuis, peine à entretenir la flamme, malgré six millions d’exemplaires du jeu de base vendus et l’existence d’une scène compétitive, essentiellement financée par l’éditeur.

« On s’est rendu compte [au milieu des années 2000] que StarCraft, Quake III et Counter-Strike étaient vieux, mais qu’aucun jeu plus beau et moderne n’arrivait à les remplacer », se souvient Lâm Hua, organisateur d’événements d’e-sports.

Car donner suite à une mécanique de précision comme StarCraft, pratiqué en compétition par des professionnels suivis par des fans et des sponsors, semble à peu près aussi vain que vouloir créer une nouvelle version du football ou des échecs. Pour connaître un succès comparable au premier StarCraft, Blizzard s’est donc résolu à proposer des jeux aux principes différents, à l’image du jeu de cartes Hearthstone ou du jeu de tir compétitif Overwatch, comme on propose, aux Jeux olympiques, de nouvelles disciplines.

StarCraft II, lui, n’a jamais tout à fait décollé. Pour Frédéric Gau de Gaming Live, « les vrais joueurs de StarCraft ont essayé sa suite avant de changer rapidement de crémerie. Blizzard maintient le jeu artificiellement en vie, pour son image de marque, mais hier, un des meilleurs joueurs français jouait en direct sur Twitch : on était trente à le regarder ». Loin des stades auxquels prétendent les plus populaires des jeux e-sport.

Cette nouvelle version serait donc un moyen pour Blizzard de donner une nouvelle jeunesse à la scène e-sport StarCraft ? « Ce serait une belle histoire que StarCraft se remette à faire plus de vues que Starcraft II, mais je n’y crois pas, tempère Frédéric Gau. Si ça prend de l’ampleur peut-être que Blizzard fera des choses avec, mais c’est à la communauté de s’en emparer. En l’état, c’est surtout un coup marketing. »

Et peut-être, avance l’ancien manageur de l’équipe ACER, un moyen pour Blizzard de tester à cette occasion une nouvelle plate-forme multijoueurs avant de l’étendre à l’ensemble de ses titres.

Le désert de la scène compétitive « StarCraft » en dehors de la Corée (allégorie). | Activision Blizzard

Un cadeau à la Corée

Il existe cependant un pays où StarCraft premier du nom n’est pas uniquement l’affaire de la nostalgie. En Corée du Sud, par la grâce d’un alignement inespéré des astres (explosion du haut débit, prohibition des consoles japonaises, popularité des cybercafés…), StarCraft est devenu à la fin des années 1990 davantage qu’un phénomène esportif, mais un phénomène de société tout court. Là-bas, ses joueurs sont considérés comme des demi-dieux. Là-bas, StarCraft reste aujourd’hui aussi joué, voire parfois davantage, que des titres bien plus récents.

« La transition entre StarCraft et sa suite a été très difficile pour les joueurs coréens, qui ont souvent décidé de rester sur le premier, analyse Arkentass, rédacteur pour Judgehype, site spécialisé sur les jeux Blizzard. Avec StarCraft Remastered, Blizzard offre un support et un soutien plus fort à la scène StarCraft en Corée du Sud. » Pour Frédéric Gau de Gaming Live, il pourrait même s’agir d’un cadeau de Blizzard à la KeSPA, la très puissante association coréenne d’e-sport, avec qui les relations sont parfois tendues. « C’est pour leur dire : “Restons amis, c’est cool.” »

Enfin, au-delà des arguments commerciaux et politiques, il y aurait aussi derrière cette nouvelle version de StarCraft une volonté réelle de la part de Blizzard de célébrer sa propre histoire. C’est du moins l’hypothèse que soutient Patrick Beja, ex-présentateur du podcast Azeroth.fr :

« Blizzard est l’un de ces développeurs qui a un vrai amour, sincère et authentique, pour son ouvrage. Imaginez la fierté d’un artisan ou d’un ébéniste qui aurait conçu une belle pièce il y a quelques années, et qui ne veut pas la voir délaissée au fond de son arrière-boutique… Il la ressort, la polit et la lustre, et la remet dans la devanture de son atelier, parce qu’elle fait aussi partie de son parcours et de sa carrière. C’est un peu la même chose avec Blizzard (…). Les développeurs et les artistes travaillent avec minutie sur chaque élément de leurs créations, et l’idée de ne simplement plus avoir accès à l’une d’entre elles était une vraie frustration pour eux. »

De là à penser que, déjà, dans son atelier d’artisan milliardaire, Blizzard a déjà commencé à lustrer les prochaines versions d’autres classiques, comme Diablo II ou Warcraft III