Des milliers de personnes ont salué le désarmement d’ETA à Bayonne, le 8 avril 2017. | Alvaro Barrientos / AP

Plusieurs milliers de personnes ont célébré sous un soleil de plomb, place Paul-Bert au cœur de Bayonne, le désarmement final de l’organisation séparatiste basque Euskadi Ta Askatasuna (ETA − « Pays basque et liberté »). Durant plus d’une heure et demie, samedi 8 avril, de nombreux Artisans de la paix – des membres de la société civile qui œuvrent au processus de désarmement – venus du sud, du Pays basque et de la Navarre espagnole, ont expliqué et revendiqué le processus qui a conduit à la remise de tout l’arsenal d’ETA aux autorités françaises.

Quelques heures plus tôt, en tout début de matinée, une délégation des Artisans de la paix avait remis les dossiers de localisation de huit sites où étaient entreposés quelque 120 armes à feu (revolvers, fusils d’assaut, etc.), trois tonnes d’explosifs et des milliers de détonateurs et munitions, à deux personnalités internationales, Matteo Zuppi, représentant du Vatican, et le pasteur Harold Good, qui a contribué au désarmement de l’Armée républicaine d’Irlande (IRA). Dans la foulée, le dossier a été transmis aux autorités françaises.

A Paris, le ministre de l’intérieur, Matthias Fekl, a confirmé la remise des armes. A Bayonne, deux escadrons de gendarmes mobiles, une compagnie de CRS et une dizaine d’équipes de démineurs étaient mobilisés en soutien aux gendarmes des Pyrénées-Atlantiques pour réceptionner et sécuriser les huit sites. Cent soixante-douze observateurs, dont certaines personnalités comme José Bové, avaient été mobilisés pour veiller sur les sites jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre. « Cette étape de neutralisation d’un arsenal d’armes et d’explosifs est un grand pas », un « jour incontestablement important », a déclaré M. Fekl.

« L’inventaire précis des armes, munitions, produits et objets saisis est toujours en cours », a annoncé en fin de journée le parquet de Paris, qui a ouvert le 4 avril une enquête préliminaire notamment pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». Confiée à la direction centrale de la police judiciaire et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l’enquête vise notamment à déterminer si certaines armes ont été utilisées par le passé, selon une source proche de l’enquête.

Un « moment grave » et une « histoire douloureuse »

Les milliers de personnes rassemblées devant un podium dans le quartier du Petit-Bayonne ont célébré ce jour qualifié d’historique. Malgré la joie présente, à tout le moins le soulagement, les organisateurs n’ont pas voulu organiser de concert. « Ce n’est pas un moment festif, c’est un moment grave qui fait référence à une histoire douloureuse, qui touche les familles de victimes, de prisonniers », rappelle Txetx Etcheverry, l’un de ces Artisans de la paix et membre de Bizi, une organisation altermondialiste et écologiste basque.

Près de cinq cents bénévoles préparaient l’événement depuis deux jours. Parmi eux, Irati, une jeune membre du comité des fêtes de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui a accueilli les manifestants en français et en euskara, la langue basque. Elle soutient l’appel des jeunes en faveur de la paix lancé par des associations, clubs et comités des fêtes des villages du Pays basque : « Nous, les jeunes, voudrions entendre la voix de ceux qui ont participé au conflit, ainsi que celle de chacune des victimes. Si le sujet est douloureux, les vérités de chacun doivent pouvoir apparaître pour permettre la construction de la paix », indique le texte.

Ce message a été repris par tous, toutes générations confondues, notamment ceux qui ont connu les périodes les plus dures, les plus meurtrières, dans les années 1970 et 1980. « Faire la paix est beaucoup plus difficile que faire la guerre. Mais, enfin, nous y sommes (…) L’essentiel est là : le 8 avril, ETA a désarmé, ETA est désarmé », a déclaré à la tribune Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Dans la foule, les parlementaires locaux du Parti socialiste, des élus centristes et des membres du parti Les Républicains, des parlementaires du Pays basque espagnol et des syndicalistes basques. « C’est bien que, sur ce dossier, l’Etat français prenne des initiatives », estime l’avocat et proche de François Hollande, Jean-Pierre Mignard. « Nous voilà enfin dans l’art de la paix », commente aussi Peio Etcheverry-Ainchart, porte-parole d’Euskal Herria Bai.

Le désarmement n’est qu’un début

Un manifestant à Bayonne, le 8 avril, venu saluer le désarmement de l’ETA. | VINCENT WEST / REUTERS

Mais le désarmement, célébré par tous, n’est qu’un début. « Dans le chemin vers la paix, le désarmement est une condition nécessaire mais pas suffisante. C’est aussi un élément déclencheur, au niveau des consciences. Le Pays basque ne sera plus le même après cette journée », avance Michel Berhoroirigoin, l’un des porte-parole du mouvement.

Tourner la page de ce passé de violences n’est pas le seul paramètre pour construire cette paix, revendiquée par les belligérants d’hier. Les questions des prisonniers et de leur éloignement, des victimes (des deux côtés) et des réparations nécessaires sont aussi abordées. A la tribune, lu en quatre langues (basque, espagnol, anglais et français), le « Manifeste de Bayonne du 8 octobre » acte l’événement :

« Le désarmement est désormais derrière nous. Ce fait à marquer d’une pierre blanche clôt un chapitre de notre histoire douloureuse, semée de morts et d’agonies que nous voulons laisser derrière nous, mais non sans regarder derrière nous. »

Revenant sur le long processus qui a conduit au cessez-le-feu décrété par ETA en 2011, au lendemain de la conférence d’Aiete, puis au désarmement, les signataires du manifeste disent attendre « que les gouvernements de France et d’Espagne acceptent de s’exprimer, afin que toutes ces années qu’ils nous ont laissées en héritage puissent être évoquées ». Et surtout qu’ils soutiennent le processus de paix, une fois la remise des armes faites.

Interrogé sur la différence entre le règlement du conflit en Irlande et au Pays basque, le pasteur Harold Good regrettait l’absence d’implication des gouvernements espagnols et français, à la différence de ce qui s’était passé en Irlande pour le désarmement de l’IRA, auquel il a contribué. « Aujourd’hui, ces gouvernements ne sont pas présents et je les appelle à participer. J’espère qu’ils vont répondre positivement à l’offre faite par ETA au peuple du Pays basque d’Espagne, elle doit être prise au sérieux et ne doit pas être rejetée », a-t-il confié au Monde.

« Prisonniers, revenez à la maison »

Plus tard, dans l’après-midi, M. Good, acclamé à la tribune, insistait encore sur la nécessaire compassion qu’il fallait manifester à l’endroit de toutes les victimes, évoquant en particulier le sort des prisonniers, éloignés abusivement, estime-t-il, de leurs familles.

« Nous pensons que personne n’est perdant – en fait nous sommes tous gagnants – si la loi et la politique s’inscrivent dans le présent, si leur éloignement prend fin, s’ils sont rapatriés en Euskadi et alentour, si les malades et ceux arrivés en fin de peine sont libérés », dit aussi le manifeste lu en clôture de la journée. A intervalle régulier, la foule clamait en basque le slogan réclamant « Prisonniers, revenez à la maison ».

C’est un autre dossier qui peut s’ouvrir dorénavant. Mais samedi, en accueillant la nouvelle du désarmement par la société civile auquel il s’opposait vivement, le gouvernement espagnol ne semblait pas prêt à discuter de la question. Il exige que le groupe ETA « demande pardon » et annonce sa « dissolution définitive ». Cette remise des armes signifie « la défaite définitive » d’ETA « face à la démocratie espagnole », a souligné le gouvernement de Mariano Rajoy dans un communiqué. Les membres du groupe « ne peuvent attendre aucun traitement de faveur du gouvernement ».

A 18 h 30, alors que les innombrables cafés, bodegas et restaurants du Petit-Bayonne s’emplissaient de clients assoiffés et, déjà, de chants, un autre match commençait à Bayonne. Le club de rugby, l’Aviron bayonnais recevait les Parisiens du Stade français.