Il y a déjà du monde, samedi 8 mars au matin, au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris. Depuis l’ouverture des portes, un flot continu de personnes rentre dans le hall qui abrite Video city, le salon des youtubeurs. A l’ouverture du salon, le public est plutôt féminin, et se déplace en binôme : l’ado et le parent. La moitié la plus jeune est là pour voir ses stars préférées, humoristes, sportifs, spécialistes du maquillage ou du jeu vidéo, qui cumulent en général plusieurs millions d’abonnés et sont connus de tous les collégiens et lycéens. L’autre moitié du binôme est là pour accompagner : le salon est interdit aux moins de 14 ans non-accompagnés d’un adulte. Et aussi, souvent, pour apprendre, et mieux comprendre.

Damien Leloup / Le Monde

EnjoyPhoenix, la youtubeuse lifestyle, fait partie de ces noms que tous les ados connaissent. Lorsqu’elle apparaît pour une session de questions-réponses sur la grande scène de Video city, les plus fans se précipitent vers la scène, tandis que les parents restent à distance prudente. « Vous la connaissez, elle a plus de deux million d’abonnés et elle a fait Danse avec les stars : EnjoyPhoenix ! », lance, comme une leçon de rattrapage à l’adresse des parents, le présentateur, sous les applaudissements. Les questions se succèdent : les projets de la youtubeuse pour 2017 ? Le lancement de son nouveau rouge à lèvre, et une participation à Fort Boyard. Ce qui est le plus important pour elle ? « La communauté. » La popularité, ça monte à la tête ? EnjoyPhoneix rigole. « Ca va, j’ai mes parents qui me recadrent tout le temps, même à 22 ans. »

Prudemment restée à l’arrière de la foule, Vanessa, venue avec sa fille, arbore un grand sourire. Pas parce qu’elle est fan, même si elle trouve la youtubeuse « mignonne », mais parce que sa fille a pu poser une question à EnjoyPhoenix. Elle-même ne suit pas spécialement l’actualité de YouTube. « Je ne les connais pas tous, ça change trop vite. Mais il y a quand même des prénoms qui reviennent souvent ! » Juste à côté, une autre mère tient le téléphone pendant que sa fille se recoiffe, dos à la scène, pour un vrai-faux selfie qui ira agrémenter son compte Snapchat ou Instagram. De l’autre côté, dans un autre grand moment de communication intergénérationnelle, une jeune femme explique à sa mère ce qu’est un « story time » – une vidéo dans laquelle on raconte un moment de sa vie.

Squeezie et une fan échangent un "hug", le 8 avril au salon Video city. | Perrine Signoret / Le Monde

Sur l’heure du déjeuner, les évènements qui rythment les journées du salon font une pause – à part, bien sûr, les « meetups » (rencontres), pour lesquels on fait la queue (une heure pour les youtubeurs connus, plus pour les stars, à condition d’avoir au préalable remporté un tirage au sort). Au bout de la file d’attente, on peut passer quelques minutes avec son idole, lui poser une question, prendre un selfie ou échanger un hug avec elle. Les queues s’allongent pour les youtubeurs lifestyle et humour, elles sont un peu plus courtes pour les jeux vidéo et le sport – toutes les stars ne sont pas là le samedi. Au micro, l’animateur enjoint aux fans de prendre « cinq minutes pour manger et pour recharger vos portables ».

L’ambiance est bon enfant, mais la fatigue se fait déjà sentir. De temps à autre, un petit mouvement de foule accompagne le déplacement d’une star. Les youtubeurs les plus connus traversent le hall au pas de charge, escortés par des agents de sécurité, eux-même entourés par un halo de fans brandissant des perches à selfies. Les « petits » – qui comptent tout de même pour la plupart au moins 400 000 abonnés – se promènent plus librement dans les allées, se font alpaguer par des fans, posent pour un selfie à deux, échangent quelques mots, repartent.

Selfie avec la youtubeuse Sissy Mua (à gauche). | Perrine Signoret / Le Monde

En dehors des youtubeurs, le salon acceuille aussi les stands de différents sponsors, quasiment aussi nombreux que les youtubeurs invités : L’Oréal, Microsoft, HP, Sony… Les plus importants proposent de tester leurs jeux vidéo ou leurs produits de beauté, pour certains directement « soutenus » par des youtubeurs célèbres. A une question d’une fan qui lui demandait comment elle avait eu l’idée de son émission « T’as pas du gloss », EnjoyPhoenix expliquait le matin que c’était Maybelline, sponsor de l’émission, qui le lui avait proposé.

En comparaison des plus gros sponsors, le stand de YouTube sur le salon semble presque minuscule. Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, Video city n’est pas organisé par la filiale de Google. Il est en fait géré par Mixicom, régie publicitaire historique de Cyprien et Squeezie, et filiale de Webedia, le groupe de médias et de divertissement (jeuxvideo.com, allocine.com, 750g.com…). Si YouTube accueille sur son espace certaines des stars les plus prestigieuses, il n’est que simple « partenaire » de l’événement.

L'espace parents. | Damien Leloup / Le Monde

Ironiquement, c’est d’ailleurs un presque concurrent, Netflix, qui sponsorise « l’espace parents » du salon. Devise, fièrement affichée à l’entrée : « si t’as un carnet de correspondance, tu rentres pas ». Orly s’y est arrêtée pour faire une pause – cette mère de deux ados de 13 et 14 ans fait pourtant partie des parents les plus motivés. Dès qu’il y a un événement autour des youtubeurs préférés de son fil et de sa fille, elle les accompagne. « Je me mets à la page », rigole-t-elle, se félicitant que son fils ait gagné l’un des tirages au sort pour une dédicace. Autour, d’autres parents prennent leur mal en patience en regardant des épisodes de séries – avec un SMS de temps à autre pour savoir où est leur progéniture – voire dorment sur les canapés.

Au coin fumeurs, cerné par des barrières en métal à l’extérieur, il y a un peu plus de grognements. « C’était mieux la dernière fois, il y avait des hoverboards, là on ne fait que piétiner », s’agace une maman. « C’est mieux que l’an passé, il n’y avait que deux ou trois canapés, mais c’est pas encore ça. » La rumeur court, insistante, chez les plus de trente ans : face à l’affluence, il n’est plus possible de rester indéfiniment dans l’espace parents…

Une fan de Cyprien (et de licornes) lors d’une séance de dédicaces. | Perrine Signoret / Le Monde

14 h 45, c’est la cohue autour du stand YouTube : Cyprien arrive pour une séance de questions-réponses avec le public et une distribution de casquettes. L’humoriste déroule, durant une demi-heure, face à un public béat d’admiration, petites blagues et infos sur ses projets. Question inévitable : que ferait-il si YouTube s’arrêtait ? « Je ferais DailyMotion », se paye-t-il le luxe de répondre avec un clin d’œil sur le stand de la plateforme sur laquelle il cumule 10,5 millions d’abonnés. Dans le public, on tend l’oreille : les réponses du comique sont quasiment couvertes par la musique de la scène principale, juste en face, où Cover Garden joue une reprise de Video killed the radio star.