Pour le Front national (FN), quitter l’euro permettrait à la France de retrouver sa souveraineté économique. Même si sa candidate, Marine Le Pen, assure qu’en cas de victoire, elle proposerait d’abord un référendum aux Français sur le sujet, le scénario du « Frexit » inquiète les investisseurs. Mais aussi tous ceux affolés par les mensonges et les approximations que professent les frontistes afin de convaincre les électeurs déçus par l’Europe.

Depuis quelques semaines, les cercles de réflexion de tous bords multiplient les études pour tenter de mesurer le coût d’une telle décision. Selon l’Institut Montaigne (centre droit), le produit intérieur brut (PIB) reculerait de 2,3 % au bout d’un an et de 9 % d’ici quinze ans, soit une perte d’activité de 180 milliards d’euros. D’après Terra Nova (proche du parti socialiste), chaque ménage perdrait entre 1 066 et 1 830 euros par an, tandis que Génération libre (libéral) estime que la facture immédiate pour le pouvoir d’achat serait de 10 milliards d’euros. La Banque de France, elle, calcule que la charge de la dette publique (les intérêts) gonflerait de 30 milliards d’euros par an… « En vérité, il est très dur d’établir un chiffrage précis, explique Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à l’université Paris-I. Mais une chose est sûre : les avantages qu’apporterait un retour au franc sont largement surestimés. »

Du fait de notre important déficit commercial, le franc se dévaluerait au moins de 10 % à 20 % face à l’euro, selon les estimations. « Cela se traduirait par une explosion des prix des produits importés douloureuse pour le pouvoir d’achat », explique Grégory Claeys, économiste chez Bruegel, un centre de réflexion bruxellois.

Dans la foulée, les Français verraient la valeur de leurs économies diminuer. Avec une inflation à 0,5 %, un livret d’épargne qui affiche une rémunération de 1 % rapporte en effet 0,5 % (hors fiscalité). Mais si l’inflation grimpait à 6 %, le bas de laine fondrait mécaniquement. « En outre, le retour au franc s’accompagnerait d’une montée des taux d’emprunt : contracter de nouveaux prêts immobiliers coûterait beaucoup plus cher », ajoute Philippe Crevel, économiste au Cercle de l’épargne.

« Nous reviendrions à l’instabilité des années 1970 et 1980 »

De leur côté, les entreprises seraient-elles gagnantes ? Il s’agit du grand argument des soutiens au retour du franc : retrouver une monnaie dévaluée regonflerait notre compétitivité. Il est vrai qu’en théorie, les produits français coûteraient moins cher à l’exportation. Mais nos entreprises devraient d’abord absorber le choc de la hausse des prix des nombreuses consommations intermédiaires qu’elles importent (textiles, caoutchouc, pièces électroniques…).

Surtout, il est peu probable que la zone euro résiste à un « Frexit ». L’Italie et l’Espagne reprendraient, à coup sûr, leurs propres devises dans la foulée. Résultat : « nous reviendrions à l’instabilité des années 1970 et 1980, où les dévaluations compétitives à la chaîne faisaient rage en Europe », rappelle Philippe Gudin, économiste chez Barclays. Résultat, le gain de compétitivité espéré face à l’Allemagne serait en partie effacé par la concurrence de l’Espagne ou du Portugal, dont les produits seraient bien moins chers que les nôtres… Une course au moins-disant dont personne ne sortirait gagnant.

« On a déjà testé dans le passé »

Et l’Etat, dans tout cela ? Le FN assure que le stock de dette en euros pourrait être converti en francs. Une mesure qu’apprécieraient peu les investisseurs. Ils réclameraient automatiquement des taux d’intérêt plus élevés pour les nouveaux emprunts.

Un argument que les économistes du FN – comme ceux de Jean-Luc Mélenchon – balaient un peu vite, faisant valoir que la Banque de France se chargerait de racheter les nouvelles obligations émises par le gouvernement. C’est oublier qu’une telle manœuvre reviendrait à faire augmenter la quantité de francs en circulation – d’où l’expression « faire tourner la planche à billets ». « On a déjà testé dans le passé : cela fait mécaniquement grimper l’inflation », explique M. Claeys.

Là encore, les ménages les plus modestes en seraient les premières victimes. Les plus aisés auraient, eux, peu de mal à placer leurs économies à l’étranger pour en protéger la valeur. C’est ce qu’on l’a observé en Grèce au printemps 2015, lorsque le risque d’un « Grexit » a contraint Athènes à instaurer un contrôle des capitaux afin de limiter la fuite des dépôts. Dans son étude consacrée au sujet, Terra Nova résume ainsi les choses : « Le FN, qui se prétend partout le “parti du peuple”, est en fait le pire ennemi des gens ordinaires, des travailleurs modestes et des petits épargnants. »