Le scénario n’est désormais que trop familier. L’alerte a été donnée à 14 h 53, vendredi 7 avril après-midi. Un camion de livraison venait de s’encastrer dans la devanture du grand magasin Åhlens, en plein centre de Stockholm, après avoir remonté à grande vitesse la rue piétonne de Drottninggatan, l’une des principales artères commercantes de la ville, sur 500 mètres. Quatre personnes ont été tuées et quinze blessées, dont neuf gravement. Six ont quitté l’hôpital pendant la nuit.

Dans l’après-midi, le premier ministre, Stefan Löfven a évoqué « une attaque terroriste ». Un homme a été interpellé en début de soirée dans la banlieue de Märsta, au nord de Stockholm. Le parquet a annoncé qu’il était soupconné de « crimes terroristes par homicide ». Un autre homme a été arrêté un peu après minuit dans la banlieue de Hjulsta, cette fois, au nord-est de Stockholm.

Le camion encastré dans la devanture du grand magasin Åhlens, dans le centre de la capitale suédoise, le 7 avril. | STRINGER / REUTERS

Le camion, qui appartient au brasseur Spendrups, a été dérobé quelques minutes avant l’attentat. Son chauffeur, qui effectuait une livraison dans un restaurant, dit avoir vu un homme masqué prendre le volant de son véhicule, puis accélérer en direction de Drottninggatan. Selon les témoins, tout est ensuite allé très vite. Les passants n’ont pas eu le temps de se mettre à l’abri. Ils ont entendu un bruit métallique, puis vu de la fumée s’échapper du camion.

Quartier bouclé

Sami, 25 ans, vendait ses valises sur le marché de Hötorget, à une centaine de mètres à peine, quand des gens sont arrivés en courant sur la place. « Ils criaient. Quelques minutes plus tard, la police est arrivée et nous a dit de partir. Ils nous ont poussés. Ils hurlaient. » Le jeune homme d’origine afghane, qui s’est réfugié en Suède il y a cinq ans, est sous le choc : « Ce genre de choses arrive souvent en Afghanistan. Mais pas en Suède, pas à Stockholm. J’ai peur. »

La police évacue la gare centrale de Stockholm, le 7 avril. Beaucoup d’habitants sont rentrés chez eux à pied. | TT NEWS AGENCY / REUTERS

Le quartier de Drottninggatan a été bouclé. La plupart des vendeurs ne sont pas revenus. Camilla et Ingrid, deux jeunes cuisinières, employées de l’hôtel qui donne sur la place, observent le triste spectacle des étals de fleurs et de fruits et légumes abandonnés. Elles racontent : « Un peu avant 15 heures, plein de gens sont entrés tout d’un coup en courant dans l’hôtel. Certains pleuraient. Une femme était complètement paralysée. Des policiers sont arrivés quelques minutes plus tard et nous ont interdit de sortir pendant plusieurs heures. »

Les deux jeunes femmes ont servi à boire et à manger. « On se sent tellement inutile, ça faisait du bien de pouvoir faire quelque chose », lance Camilla, qui s’étonne que le bilan de l’attentat ne soit pas plus lourd : à 14 h 30, un vendredi après-midi, les Stockholmois quittent leur travail, beaucoup se retrouvent sur Drottninggatan. Elle énumère : Londres, Nice, Berlin… « Ce n’était qu’une question de temps avant que cela n’arrive ici aussi. »

« On savait que cela arriverait ici aussi »

Un peu plus loin, un groupe de femmes traînant des valises, attend qu’on vienne les chercher. Il est 21 heures. Le centre de Stockholm est désert. Elles sont enseignantes dans une école de Sala, à 140 km de la capitale suédoise. « Nous étions venues pour le week-end. Nous devions aller au théâtre, à l’opéra… Nous avons juste eu le temps de poser nos valises avant d’être évacuées », raconte Helena. Le cœur n’y est plus. Elles ont décidé de rentrer chez elles. « C’est terrible, mais on savait que cela arriverait un jour ici aussi », lance-t-elle résignée, avant de monter dans une voiture.

La Suède et Stockholm, pourtant, avaient jusque-là été relativement épargnés. Le 11 décembre 2010, un Suédois, d’origine irakienne, s’était fait exploser à quelques dizaines de mètres à peine du magasin Åhlens, ne faisant que quelques blessés légers.

Dans leur rapport annuel, publié le 16 mars, les services de renseignement (Säpo) prévenaient des risques d’une attaque similaire à celles qui se sont produites ailleurs en Europe, constatant qu’il était « impossible de dire quel est le risque que pareil attentat se produise en Suède ».

En début d’année, le Centre national pour l’évaluation de la menace terroriste (NCT) avait lui aussi mis en garde, estimant que la Suède était « susceptible d’être considérée comme une cible par des acteurs terroristes islamistes », évoquant « ceux qui ont voyagé et reviennent après avoir combattu aux côtés de groupes islamistes terroristes, et d’autres individus qui ne sont pas partis mais sont inspirés par la propagande islamiste terroriste. »

Mouvement de solidarité sur les réseaux sociaux

Vendredi soir, le premier ministre, Stefan Löfven, très ému, a déposé des fleurs et allumé une bougie, sur le trottoir, à quelques mètres des lieux de l’attentat. Il était rentré d’urgence, quelques heures plus tôt, de Göteborg, où s’ouvre le congrès du parti social-démocrate, samedi midi. Lors d’une conférence de presse depuis Rosenbad, le siège du gouvernement, il a témoigné de sa détermination : « Le but du terrorisme est de miner la démocratie. Mais ces actes n’arriveront jamais à gagner en Suède, nous le savons. Vous ne pouvez pas nous diviser, vous ne pouvez pas diriger notre vie, vous ne pourrez jamais l’emporter. »

Stefan Löfven, premier ministre suédois, dépose un bouquet à proximité de l’endroit de l’attentat, le 7 avril. | TT NEWS AGENCY / REUTERS

Stefan Löfven s’est aussi réjoui de la solidarité des Stockholmois, qui sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #openstockholm, ont proposé d’héberger les personnes coincées dans le centre-ville, après la suspension du métro et du trafic ferroviaire.

« C’était attendu - mais pourtant, ce n’est jamais possible d’être prêt émotionellement », constate le quotidien Svenska Dagbladet, dans son éditorial, poursuivant : « C’est aussi un rappel que la Suède est dans le monde. Et le monde dans la Suède. Reliés inextricablement l’un à l’autre. C’est notre vulnérabilité et notre force. »