Le maréchal Philippe Pétain, lors de son procès en juillet 1945. | - / AFP

L’historienne Annette Wieviorka est spécialiste de la Shoah. Elle revient, dans un entretien au Monde, sur les déclarations de Marine Le Pen, qui a argué, dans l’émission « Le Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro », que « La France n’est pas responsable de la rafle du Vél’ d’Hiv », qui a vu, le 16 juillet 1942, 4 500 policiers et gendarmes français arrêter plus de 13 000 hommes, femmes et enfants juifs, pour le compte de l’occupant nazi. La plupart furent déportés dans des camps, en France puis en Allemagne, et ne revinrent jamais.

Pour Marine Le Pen, la France n’est pas responsable de la rafle du Vél d’Hiv. Qu’en pensez-vous ?

Il faut d’abord préciser que tous les historiens sont d’accord sur ce qui s’est passé en juillet 1942. Le fact-checking concerne aussi l’histoire ! La solution finale est une histoire nazie. Son organisation a été calée lors de la conférence de Wannsee, fin janvier 1942. Et quelques mois plus tard, le 11 juin 1942, les nazis ont organisé autour d’Adolf Eichmann la déclinaison de cette politique dans trois pays d’Europe occidentale : la France, la Belgique et les Pays-Bas. Les Allemands ont ensuite négocié avec l’Etat français sur l’âge de ceux qui allaient être arrêtés et sur les modalités de ces arrestations. Or l’Etat français a accepté de mettre sa police au service des nazis. Il en a résulté les 16 et 17 juillet la plus grosse arrestation jamais réalisée en France : 13 000 personnes. Et contrairement aux principales rafles de 1941, celle-ci a également touché de nombreuses femmes, ainsi que 4 000 enfants. Ces 13 000 personnes ont donc été arrêtées par la police française, même s’il faut préciser que les nazis et l’Etat français prévoyaient d’arrêter 30 000 personnes. C’est aussi grâce à l’action de certains policiers que des victimes ont échappé aux arrestations.

Ce que Marine Le Pen nie, c’est que Vichy, c’était la France.

Marine Le Pen n’est pas la seule à revenir sur cet épisode. Eric Zemmour le faisait aussi dans son essai sur « le suicide français ». Il y a donc tout un courant qui exonère Pétain et le régime de Vichy de toute responsabilité. C’est assez troublant de voir ressurgir dans le débat public une question qui n’existait plus. L’histoire n’a rien à y gagner. Lors de son second septennat, François Mitterrand avait été l’objet de très vives polémiques sur son passé à Vichy. Il avait renâclé à reconnaître les responsabilités propres de la France dans la déportation des juifs qui y vivaient, mais avait néanmoins accepté une journée nationale de commémoration. Lorsqu’en juillet 1995 Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, il précise que les nazis ont été « secondés » par « des Français, par l’Etat français ». Il faut se souvenir que ce discours a fait l’objet d’un large consensus mais pas l’unanimité, notamment à droite. En fait, la France, c’était probablement à la fois de Gaulle à Londres et Pétain à Vichy. Mais c’est bien la police française qui a arrêté des enfants. Cela fait partie de l’histoire du pays.

Alors que Marine Le Pen prenait soin de se démarquer de son père, cette polémique n’est-elle pas une surprise ?

Beaucoup se sont aveuglés en disant qu’il n’y avait plus d’antisémitisme au Front national. En fait, ce parti est composite et il y a aussi une tendance antisémite en son sein. Ce n’est pas parce qu’il y a un antisémitisme musulman que l’antisémitisme a disparu dans le reste de la population. Marine Le Pen espère sans doute flatter cet électorat. Le substrat antisémite est toujours remonté à la surface en période de crise. C’est encore le cas aujourd’hui. On l’entend encore au sujet d’Emmanuel Macron en rappelant qu’il était banquier chez Rothschild. Comme je le dis souvent, on ne lui collerait pas cette étiquette de banquier s’il avait travaillé au Crédit agricole.