Environ 20 000 personnes, selon les organisateurs, étaient réunies place Paul-Bert, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), samedi 8 avril. | REGIS DUVIGNAU / REUTERS

Une page de l’histoire du Pays basque a été tournée. En rendant, samedi 8 avril, les armes de l’organisation séparatiste ETA aux autorités françaises, la société civile – militants associatifs, syndicalistes, élus de tous bords… – espère avoir mis fin à la violence dans cette région coupée en deux par la frontière entre l’Espagne et la France.

Dans les huit caches où était dissimulé l’arsenal de l’ETA en France, dont les coordonnées avaient été remises aux autorités samedi matin, la police, guidée par des militants, a saisi sans heurts 120 armes à feu (revolvers, fusils d’assaut, etc.), trois tonnes d’explosifs et des milliers de détonateurs et de munitions.

L’après-midi, devant des milliers de personnes (20 000 selon les organisateurs), place Paul-Bert, dans le quartier du Petit-Bayonne, était lu à la tribune, en quatre langues, le « Manifeste de Bayonne » : « Le désarmement est désormais derrière nous. Ce fait à marquer d’une pierre blanche clôt un chapitre de notre histoire douloureuse, semée de morts et d’agonies que nous voulons laisser derrière nous, mais non sans regarder derrière nous. »

Les intervenants à ce meeting qui clôturait la journée ont, tour à tour, insisté sur le fait que ce désarmement, attendu et annoncé depuis de longs mois, n’était que le prélude à une nouvelle séquence : celle de la « compassion » à l’égard de toutes les victimes, ainsi que l’a répété le pasteur Harold Good, qui a contribué au désarmement de l’IRA en Irlande et a joué un rôle majeur dans celui d’ETA – aux côtés, entre autres, de Matteo Zuppi, archevêque de Bologne, spécialiste des négociations de paix –, celle de la réparation.

Revendication

Il est probable que l’organisation ETA, qui a renoncé à la violence en 2011, ouvre désormais le débat sur sa dissolution. Se pose aussi la question des prisonniers, très souvent incarcérés loin de leurs familles. L’ETA avait longtemps fait de leur rapprochement du Pays basque, des mesures d’amnistie et de libérations conditionnelles un préalable au désarmement. Celui-ci effectué, la revendication va resurgir. « Nous pensons que personne n’est perdant – en fait, nous sommes tous gagnants – (…), si leur éloignement prend fin, s’ils sont rapatriés en Euskadi et alentour, si les malades et ceux arrivés en fin de peine sont libérés », proclame ainsi le « Manifeste de Bayonne ».

Pour autant, cette nouvelle page, pacifique, risque d’être plus difficile à écrire que celle du désarmement, celui-ci s’étant fait de manière unilatérale, sans négociation, ETA prenant la décision et confiant sa réalisation aux militants de la société civile. Ainsi que l’a proclamé à la tribune Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, l’un des acteurs du processus, « faire la paix est beaucoup plus difficile que faire la guerre ».

Le gouvernement espagnol, qui refusait l’idée même de cet « autodésarmement » par l’ETA, ne compte pas solder plusieurs dizaines d’années de conflits violents – plus de 800 morts dus aux attentats de l’organisation basque, l’ETA évoquant, de son côté, plusieurs centaines de morts dus aux commandos paramilitaires espagnols – de cette façon. Le gouvernement de Mariano Rajoy somme le groupe ETA d’« annoncer sa dissolution définitive, demander pardon à ses victimes et disparaître, au lieu de monter des opérations médiatiques pour dissimuler sa défaite ». Les membres du groupe « ne peuvent attendre aucun traitement de faveur du gouvernement », a souligné le gouvernement espagnol.

Préparation minutieuse

Plus ambiguë est la position du gouvernement français. Officiellement, les autorités françaises nient toute implication dans le processus de désarmement. Il s’agit d’une opération qui regarde la justice, et elle seule, n’ont cessé de répéter tant le premier ministre que le ministre de l’intérieur. Samedi matin, alors que les restitutions d’armes avaient commencé, le ministre de l’intérieur, Matthias Fekl, déclarait : « Cette étape de neutralisation d’un arsenal d’armes et d’explosifs est un grand pas. » Dans la foulée, le premier ministre se félicitait aussi « de cette opération, menée dans le calme et sans violence ». « C’est là une étape décisive vers la fin du terrorisme indépendantiste basque », déclarait Bernard Cazeneuve, en rendant hommage aux victimes de l’ETA.

Dans ce dossier délicat, Paris n’a jamais voulu heurter Madrid et donner l’impression d’une quelconque mansuétude à l’égard des « étarras ». Les autorités françaises ont nié tout contact officiel avec le collectif de la société civile préparant le désarmement. Pour autant, cette restitution par 172 militants non violents n’aurait pu se faire sans une préparation minutieuse. Et, sur les huit sites – la plupart se trouvant en Béarn –, les militants, qui tenaient à s’assurer que c’était bien la police française qui récupérait les armes, ont eu peu de temps à attendre. Les deux escadrons de gendarmes mobiles, la compagnie de CRS et la dizaine d’équipes de démineurs, dépêchés en renforts, étaient bel et bien prêts à répondre à la demande de la justice française de saisir l’arsenal.

Les militants, dont certaines identités ont été relevées lors de la remise des armes aux gendarmes, attendent de savoir si des poursuites seront engagées contre eux. De leur côté, les cinq responsables associatifs interpellés en décembre 2016 lors d’une première tentative de restitution d’armes à Louhossoa attendent, eux aussi, de connaître le sort qui leur est réservé. Ils sont mis en examen pour port, transport et détention d’armes, de munitions et de produits explosifs, en relation avec une entreprise terroriste.