Dans le jardin de Khalil, l’organisateur de l’événement, c’est l’heure du tour de présentation. Assis en cercle, chacun explique ce qui l’a poussé à assister à la réunion du comité En marche Sénégal. « Si Emmanuel Macron passe, ça peut rebattre les cartes Sénégal-France », avance Pemba, un chef d’entreprise sénégalais d’une soixantaine d’années. « C’est l’Obama de la France », enchaîne Djibril, un Sénégalais qui travaille dans l’e-commerce. « Je crois dans ses qualités humaines, dans son intégrité », ajoute Milan, en stage dans un cabinet de conseil.

« On est vraiment une start-up », résume Jérémy Fabre quand vient son tour de parole. Français installé depuis six ans à Dakar, il a créé le comité en octobre 2016 et se réjouit de l’affluence – une petite vingtaine de personnes ce soir-là – mais aussi du nombre d’adhérents en hausse : 150 en tout dans le pays, pour la plupart étudiants en commerce et entrepreneurs. Une grande majorité d’entre eux n’a jamais été affiliée à un parti politique.

Sénégalais, Français, Libanais du Sénégal, Franco-Rwandais ou encore Congolais… Dans l’assemblée, la moitié des personnes présentes n’ont pas le droit de voter en France. Ce sont le profil du candidat à l’élection présidentielle française (dont le premier tout a lieu le 23 avril), mais aussi le plaisir de débattre, qui les ont rassemblés ce mardi soir. « Macron m’a séduit par sa jeunesse, son engagement », commente Moustapha, conseiller à la présidence de la République sénégalaise, venu à titre personnel : « Je pronostique qu’il va gagner au deuxième tour avec 53 % des voix. »

Au Sénégal, environ 25 000 personnes sont inscrites sur les listes du consulat de France. Jérémy espère aller chercher des votes pour Macron jusque dans la vallée du Sénégal, où il estime qu’une réserve de voix existe parmi les Français qui ignorent s’ils sont inscrits. Ce travail de terrain loin de Dakar, il assure que les autres partis français ne le font pas. Deux bureaux En marche ! ont ouvert à Saly, un autre à Thiès, peut-être bientôt un à Kaolack. « On pourrait en ouvrir un à Saint-Louis car il y a un bureau de vote là-bas », propose Jérémy avant de lancer une vidéoconférence sur Skype. « Bonjour Abidjan ! » Un groupe de « marcheurs » de Côte d’Ivoire apparaît sur l’écran.

Loin des réseaux des « vieux dinosaures »

Les convaincus vantent une nouvelle façon de faire de la politique, dont ils souhaitent s’inspirer localement. Hamza gère le comité En marche ! de Casablanca. Il est en visite à Dakar avant de poursuivre à Bamako et Abidjan dans les prochaines semaines. Pour lui, il y a une dynamique à créer en Afrique de l’Ouest autour de ce mouvement : « La jeunesse africaine doit se politiser. Il y a de la place pour un nouveau panafricanisme éclairé. A l’époque de Thomas Sankara, on était utopiques mais on n’avait pas les moyens de ces utopies. Aujourd’hui, on est moins utopiques, mais on a plus de moyens. Avec le numérique par exemple. » Dans sa ligne de mire : les élections municipales de 2021 et les législatives de 2022 au Maroc, pour mettre fin aux « partis cocotte-minute ». Hamza n’est pas le seul à rêver, avec la candidature Macron, d’un nouveau départ dans les relations France-Afrique, loin des réseaux des « vieux dinosaures ».

Les marcheurs de Dakar se répartissent en petits groupes pour débattre. Dans l’un d’eux, la qualification de la colonisation comme crime contre l’humanité par Macron a fait mouche. « C’était hyperfort », commente Laure, qui travaille pour l’ONG Action contre la faim. « Je n’ai jamais vu un leader politique français dire ça », ajoute Bruno, médecin spécialiste.

L’arrivée de Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la défense, parmi les soutiens de Macron a toutefois fait l’effet d’une douche froide. « Il a ses entrées dans tous les palais africains », commente Clevinaud, un Congolais en master de gestion des affaires. « Le Drian, c’est Hollande, et Hollande, c’est un silence coupable sur certaines situations, y compris dans mon pays, le Congo-Brazzaville. » Et Laure d’ajouter : « De toute façon, la politique étrangère de la France, c’est ce qui change le moins dans l’alternance. »

« Le Pen aussi, elle bouge le curseur de la Françafrique »

Avec sa sortie sur le franc CFA lors de sa récente visite au Tchad, Marine Le Pen s’est immiscée dans les débats du comité. La candidate du Front national (FN) a déclaré qu’elle était d’accord avec les Etats africains qui souhaiteraient se doter d’une nouvelle monnaie. Aujourd’hui, le franc CFA, garanti par le Trésor français, est la devise de huit pays d’Afrique de l’Ouest et de six pays d’Afrique centrale.

« Le Pen aussi, elle bouge le curseur de la Françafrique », estime ainsi Colette, qui se définit politiquement comme « ni En marche ! ni au PS [Parti socialiste], mais… un peu perdue ». Quelqu’un rétorque : « Elle est allée au Tchad parce que c’est le seul pays qui a bien voulu la recevoir ! » Traditionnellement, le FN enregistre des scores deux fois plus bas chez les Français du Sénégal qu’en France.

Un dernier tour de table avant de clore la rencontre. Milan, un Franco-Rwandais, s’interroge : « Est-ce que le credo sexy “Il faut dépasser les partis” tient la route ? Car derrière les partis, il y a quand même une vision construite de ce qui est juste et de ce qui n’est pas juste. »