Tête haute, regard direct et léger sourire de défi, Saffiyah Khan fait face à un manifestant d’un groupuscule d’extrême droite anglais, l’English Defence League (EDL), lors d’une manifestation dans la ville de Birmingham, en Angleterre. Cette jeune fille, jusqu’alors anonyme, est devenue en l’espace de quelques jours une véritable icône de résistance pacifique sur les réseaux sociaux. La photographie, prise le samedi 7 avril, a été relayée par de nombreux médias britanniques comme The Guardian, The Telegraph, The Mirror ou encore la BBC.

Sur la photo, la jeune femme en sweat noir et veste en jean parvient à afficher une attitude à la fois défiante et amusée face au militant d’extrême droite, Ian Crossland. Ce dernier est venu manifester « contre l’islamisation de l’Angleterre » avec une cinquantaine d’autres membres de l’EDL, près de deux semaines après l’attentat de Londres qui a fait cinq morts. Huit personnes ont été arrêtées à Birmingham dans le cadre de l’enquête.

Ian Crossland, portant un tee-shirt avec les initiales du mouvement EDL, regarde la jeune fille droit dans les yeux, sans que celle-ci ne paraisse le moins du monde impressionnée. Imperturbable et nonchalante, elle a les mains dans ses poches et le dépasse d’une demi-tête. A l’arrière-plan, un policier et des manifestants prennent part à la scène en s’agitant. L’agent de police semble vouloir contenir l’homme, tandis que les deux manifestants ont la bouche grande ouverte.

Ce cliché a été immortalisé par le photographe Joe Giddens, et partagé par 17 000 internautes sur Twitter. Notamment par Jessica Rose Phillips, députée du Parti travailliste dans la circonscription de Birmingham Yardley et par le journaliste britannique Piers Morgan, qui a qualifié le cliché de « photo de la semaine ».

Sur le réseau social, les commentaires enthousiastes s’enchaînent pour évoquer l’attitude exemplaire de cette habitante de Birmingham. Les internautes lui ont même trouvé un surnom : « The Lady ». Ils ont salué son calme et son sang-froid face à la colère des manifestants.

« Je n’avais pas du tout peur »

La jeune femme est originaire de Birmingham. Elle s’est rendue à la manifestation de l’EDL afin « d’afficher son soutien aux personnes qu’ils harcèlent et agressent », a-t-elle relaté au site anglais BuzzFeed.

Durant la manifestation, une jeune femme portant un hijab se fait entourer par un groupe d’une vingtaine d’hommes. Saffiyah Khan décide alors d’agir, car « je la soutenais et je n’étais pas d’accord avec eux. Je n’aime pas voir des gens se liguer contre quelqu’un dans ma ville », explique cette jeune femme aux origines pakistanaise et bosnienne à la BBC.

Les manifestants se sont alors rassemblés autour de la jeune fille et l’individu qui lui fait face sur la photo la pointe du doigt agressivement.

« C’était très agressif, mais je n’ai rien fait. Ce n’était pas mon intention. Je n’avais pas du tout peur. Je savais qu’ils essayaient de me provoquer mais je suis restée calme. »

La manifestation de l’EDL a réuni environ une centaine de personnes. Elle a été réprouvée par les libéraux-démocrates, le Parti travailliste et les conservateurs du conseil municipal de la ville.

Une série de clichés

Cette photographie ne va pas sans rappeler ces images iconiques de résistance unique qui ont marqué les esprits. Ainsi de la photo de cette jeune manifestante noire impassible face à deux policiers antiémeute qui fondaient sur elle pour l’arrêter, lors du mouvement Black Lives Matter en juillet 2016. Cette manifestation avait eu lieu en hommage à Alton Sterling, un vendeur ambulant noir, tué par la police trois jours auparavant. La photo de Jonathan Bachmann était devenue alors un véritable symbole du mouvement.

FILE PHOTO - A demonstrator protesting the shooting death of Alton Sterling is detained by law enforcement near the headquarters of the Baton Rouge Police Department in Baton Rouge, Louisiana, U.S. July 9, 2016. REUTERS/Jonathan Bachman/File Photo REUTERS PICTURES OF THE YEAR 2016 - SEARCH 'POY 2016' TO FIND ALL IMAGES | Jonathan Bachman / Reuters

A l’instar de cette photo prise le 1er mai 2016 en Suède, où défilaient 300 militants de l’organisation néonazie Mouvement de résistance nordique : une femme est sortie de la rue et s’est trouvée face à « l’organisation la plus violente de Suède ». « Elle a soulevé son poing et a refusé de bouger », a expliqué le photographe David Lagerlöf. Ainsi, Tess Asplund est devenue un symbole de la protestation pacifique face au racisme.

Une autre image a fait le tour du monde, avant l’ère des réseaux sociaux. Un homme seul avec un sac plastique à la main fait face à une colonne de chars, le 5 juin 1989, après la répression sanglante du mouvement démocratique de Tiananmen à Pékin. Le surnom donné au rebelle, « Tank Man », est resté dans l’histoire. Son vrai nom n’a jamais été connu. L’auteur de ce cliché, Jeff Widener, travaillait à l’époque pour l’agence Associated Press (AP).

Tel David contre Goliath, une photo plus ancienne montre une jeune fille faisant face à une rangée de soldats en armes. Comme unique défense, cette icône des sixties tient à la main une fleur délicate. Il s’agit de La Fille à la fleur, de Marc Riboud. Cette photographie a été prise en octobre 1967 à Washington D.C. à l’occasion d’une manifestation contre la guerre du Vietnam. La jeune fille représente alors la jeunesse contestataire pacifique des années 1960.