Hervé Drévillon, professeur à l’université Paris-I Dauphine, est spécialiste de l’histoire militaire. Il revient sur les liens, parfois tumultueux, entre armée et République, et sur les rapports étroits qui se sont développés entre le monde de l’éducation et l’institution militaire.

Une élève de Saint-Cyr, avant le défilé du 14 Jullet. | MAL LANGSDON/REUTERS

Quelle est l’histoire entre l’armée et l’éducation au sens large ?

L’armée qui, sous l’Ancien Régime, apparaissait un peu comme un repoussoir et un univers de perdition, est devenue, sous la Révolution française, un lieu d’apprentissage de la citoyenneté. Quelques années plus tard, à partir de 1802, Napoléon crée les lycées, dont l’organisation et la discipline sont d’inspiration militaire. La même année, l’école de Saint-Cyr est créée pour former les officiers. A partir de 1870 et de la défaite contre la Prusse, la relation entre l’armée et la République devient plus compliquée. Sous la IIIe République, les militaires perdent le droit de vote, qu’ils ne retrouveront qu’en 1945. Dans le climat du débat sur le rapport entre l’armée et la République, la question de la formation des officiers est posée. Au principe d’une formation spécifiquement militaire, certains, comme Jean Jaurès, opposent l’idée que les officiers soient formés à l’université pour favoriser une « communication aisée avec la démocratie ». L’histoire du rapport entre l’armée et l’éducation est longue et agitée, car elle a toujours posé la question de la fonction sociale et politique de l’institution militaire. C’est pour cette raison que l’annonce de la suspension de la conscription par Jacques Chirac, en 1996, a paru faire ressurgir la crainte d’une fermeture des armées sur elles-mêmes.

« L’histoire du rapport entre l’armée et l’éducation est longue et agitée, car elle a toujours posé la question de la fonction sociale et politique de l’institution militaire. »

Pour préserver le lien avec la nation, les formations supérieures militaires ont accru leur ouverture sur le monde académique. Les échanges et les partenariats se sont ainsi multipliés. Cela va du stage de découverte d’une semaine dans une école comme Saint-Cyr Coëtquidan au partenariat de recherche. Par ailleurs, toutes les écoles militaires sont insérées dans un tissu universitaire local. Par exemple, les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ont noué un partenariat privilégié avec l’UBS (université de Bretagne-Sud), l’école navale avec l’université de Bretagne occidentale.

Que viennent chercher les grandes écoles et les universités dans ces écoles militaires ?

Elles viennent chercher les valeurs et les vertus enseignées dans le monde militaire. A Saint-Cyr, la vertu cardinale est le leadership, c’est-à-dire l’ensemble des qualités, des compétences et des savoirs qui font un bon meneur d’hommes. Cette valeur est autant civile que militaire, mais la spécificité militaire intéresse beaucoup les grandes écoles. Parmi les valeurs militaires qui intéressent les civils, il y a aussi la quête de sens et le goût de la transcendance, du dépassement de soi.

Les activités de groupe, la cohésion et l’intégration à une communauté sont des valeurs fondamentales dans les armées. Enfin, l’attrait pour la discipline ne doit pas être occulté, car un officier commande, mais il doit aussi obéir. Il est un maillon dans une chaîne hiérarchique et il doit y tenir sa place harmonieusement.

Quel est l’intérêt pour l’armée de signer ces partenariats avec l’enseignement supérieur ?

Les armées ont intérêt à préserver leur ouverture sur le monde académique de façon à diversifier leur recrutement et les compétences de leurs officiers. La limitation du recrutement des officiers aux enfants d’officiers ne serait pas une bonne chose. C’est pourquoi les écoles d’officiers maintiennent un recrutement sur titre (master) de jeunes étudiants, même si cette ouverture reste modeste (à Saint-Cyr, une vingtaine d’étudiants sur 140). Par ailleurs, la diversité du recrutement et des partenariats académiques constitue une façon de tenir compte des évolutions des carrières d’officiers, qui ne se conçoivent plus forcément comme des vocations exclusives.

Hervé Drévillon. | DR