Immigration, aide au développement, bilan africain de François Hollande, bases militaires françaises sur le continent… Avant le premier tour de l’élection présidentielle française, le 23 avril, Le Monde Afrique a posé les mêmes huit questions aux cinq principaux candidats.

Souhaitez-vous aller plus loin dans la reconnaissance des crimes commis par la France pendant la guerre d’Algérie, et plus généralement durant la période coloniale ?

Marine Le Pen Non, car il ne revient pas aux politiques de faire le travail des historiens. Les Français rejettent ces repentances qui divisent plutôt qu’elles ne rassemblent. Nous parlons de situations aussi complexes que douloureuses. La France n’a pas à s’excuser pour cette période. Elle doit rendre hommage à ses anciens combattants et solder l’épineuse et dramatique question des harkis, avec la création d’une fondation dédiée à leur cause. En dehors de ces questions mémorielles, il faut avoir des relations apaisées avec l’Algérie, notamment dans la coopération en matière de terrorisme et d’immigration.

Quelle est votre solution pour lutter contre l’immigration massive en Europe ? Etes-vous favorable à l’installation de camps de migrants au Maghreb ?

Nous nous réjouissons de ce que l’angélisme, qui fait considérer ces migrations massives comme une « chance » pour l’Europe, soit de moins en moins répandu dans la classe politique : les préoccupations des Français commencent enfin à surpasser les intérêts des marchés ! L’immigration massive est une catastrophe, pour les pays européens comme pour les pays d’origine.

« L’opération navale Sophia doit cesser d’être complice des passeurs »

La restauration de frontières nationales contrôlées par des douaniers, gendarmes et policiers français constituera une première réponse. Ensuite, nous exigerons de nos partenaires européens de réformer l’opération navale Sophia pour qu’elle cesse d’être complice des passeurs et débarque les migrants là d’où ils sont partis, en Libye. Nous nous assurerons qu’ils y seront traités conformément au droit international, en attendant le rapatriement dans leurs pays d’origine.

Soyons lucides : le défi est moins d’empêcher les migrants d’arriver en Europe que de leur permettre de ne pas avoir à partir de chez eux ! Les Africains, comme les Français, veulent d’abord vivre, et non survivre, dans leur pays, selon leurs lois et traditions, pour élever leurs enfants sans craindre la criminalité, l’oppression ou la guerre. Pour cela, les Etats d’origine doivent assurer la sécurité et la justice, qui permettent le développement économique.

L’Afrique est régulièrement décrite comme un continent d’avenir. Le pensez-vous ? Pourquoi ? Comment la France peut-elle en tirer parti ?

L’Afrique, avec ses centaines de millions de jeunes et ses gigantesques ressources naturelles, dispose d’un considérable potentiel de prospérité et de puissance. Pourtant, rien n’est gagné. Un chemin important a été parcouru. La forte croissance liée aux cours élevés des matières premières a permis d’engager le développement d’un certain nombre de pays. Seulement, le développement est allé de pair avec un creusement des inégalités, ce qui génère des frustrations pouvant, à terme, susciter des troubles sécuritaires.

L’extrême pauvreté y a engendré radicalisation religieuse, terrorisme et conflits intercommunautaires. Si rien n’est fait pour inverser cette tendance, ces pays pourraient s’effondrer, jusqu’à entraîner leurs voisins plus prospères dans leur chute.

Quels liens personnels entretenez-vous avec l’Afrique ou certains de ses dirigeants ?

Je n'ai guère eu l’occasion de me rendre en Afrique, à l’exception du Tchad le mois dernier, mais je m’y rendrai certainement plus souvent comme président de la République !

Quant à d’éventuelles relations personnelles avec des dirigeants, je veux dire qu’elles ont trop souvent parasité les relations franco-africaines. Je mettrai fin aux relations critiquables de la France-Afrique qui n’ont pas bénéficié aux populations.

Quel regard portez-vous sur la politique africaine de François Hollande ? Que feriez-vous différemment si vous êtes élu ?

Il convient, de façon républicaine, de saluer la décision du président Hollande d’avoir déclenché l’opération Serval pour stopper les djihadistes qui s’emparaient du Mali en janvier 2013. Je regrette néanmoins que ce succès militaire n’ait pas été suivi d’une stratégie cohérente pour la stabilisation du pays : notre diplomatie laisse s’enliser depuis juin 2015 la mise en œuvre de l’accord de paix, tandis que les montants consacrés au développement dans la région sont dérisoires. L’action militaire ne suffit pas : nos soldats de l’opération Barkhane ne pourront éliminer seuls les terroristes.

Quant à sa politique africaine, M. Hollande avait, en 2012, comme M. Sarkozy en 2007, annoncé vouloir mettre fin à la Françafrique. Rien n’a été fait. Cet immobilisme est devenu incompréhensible. Nous adopterons donc une ligne claire pour notre politique africaine comme internationale.

Les bases militaires françaises sur le continent : un anachronisme ou une nécessité ?

A l’évidence, elles sont encore une nécessité, selon l’opinion même des dirigeants africains. L’armée française n’est plus là pour protéger des régimes mais pour appuyer les armées locales dans leur lutte contre le terrorisme, les former et les aider à intervenir en cas de crise chez un voisin.

« Il n’y aura pas de développement de l’Afrique sans sécurité »

Tant que nos partenaires africains le voudront, nous maintiendrons et renforcerons notre coopération pour leur permettre de se passer complètement de tout partenaire extérieur pour la gestion des crises en Afrique. Nous resterons fidèles à nos engagements, parce que le terrorisme doit se combattre là-bas comme en Europe et parce qu’il n’y aura pas de développement de l’Afrique sans sécurité.

Paris doit-il davantage faire entendre sa voix lorsque des processus électoraux, à Brazzaville, Libreville ou N’Djamena, sont contestés ? Jusqu’à conditionner son aide aux avancées démocratiques ?

La France n’a aucune légitimité à se prononcer sur la vie politique nationale de tel ou tel pays. Mais elle doit dénoncer les violences et les violations des processus démocratiques lorsqu’elles sont manifestes. Et ne pas tenir deux discours selon les amitiés ou les intérêts financiers ou personnels, comme on peut trop souvent le constater. Nous devons être intraitables sur le bon usage de l’argent du contribuable français : l’aide en Afrique sera conditionnée à la bonne gouvernance et au respect de l’Etat de droit.

Vous engagerez-vous à porter l’aide au développement à 0,7 % du PIB au cours de votre quinquennat ?

Oui, sans hésitation. Il ne s’agit pas uniquement de solidarité : si c’était le cas, l’aide de la France à l’Afrique n’aurait pas chuté à 0,37 % du PIB sous un gouvernement socialiste ! Nous porterons l’aide à 0,7 % du PIB car c’est une condition de notre sécurité nationale.

Les Français doivent comprendre que cet effort, autour de 16 milliards d’euros par an, en contribuant à la sécurité et à la prospérité des Africains, constitue le seul rempart efficace contre les menaces que sont les migrations massives et le terrorisme, et un gage de prospérité partagée à long terme.

A l’opposé du saupoudrage actuel et des questions à la mode, l’aide répondra aux besoins concrets des populations les plus fragiles, notamment les femmes, en priorité au Sahel : sécurité, éducation, agriculture.

Candidats à la présidentielle, quel est votre programme pour l’Afrique ?

Immigration, aide au développement, bilan africain de François Hollande, bases militaires françaises sur le continent... Avant le premier tour de l’élection présidentielle française, le 23 avril, Le Monde Afrique a posé les mêmes huit questions aux cinq principaux candidats. Tous disposaient du même espace pour exprimer leur point de vue et leurs propositions. Du dimanche 9 au jeudi 13 avril, nous publions leurs réponses, par ordre alphabétique : d’abord François Fillon, puis Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et enfin Jean-Luc Mélenchon.