Au-dessus de la porte du studio A, l’ampoule rouge s’est allumée. L’émission « Bangré Vuim », (« Comment vivre avec l’autre », en langue locale) va bientôt commencer. Ordinateur à la main, Abdoul Karim Sawadogo pousse la porte capitonnée bleue et s’engouffre dans la salle. Ce lundi 20 mars, le rédacteur en chef de Radio Solidarité, une radio islamique siégeant à Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, a invité un prêtre, un imam, un pasteur et un représentant de la société civile à débattre autour des questions sécuritaires. Quelques heures plus tôt, le détachement militaire de Nassoumbou a été attaqué. Pour le journaliste de 31 ans, en parler est une nécessité.

« Au début, nos émissions traitaient surtout de cohésion sociale. Mais l’an dernier, le terrorisme a commencé à dominer l’actualité. J’entendais beaucoup de Burkinabés accuser l’islam. Or le Coran n’a jamais dit qu’il fallait commettre des actes terroristes ! J’ai donc modifié la ligne éditoriale de la radio pour sensibiliser les auditeurs à ces questions », raconte Abdoul Karim Sawadogo quelques minutes avant le lancement de « Bangré Vuim ». C’est ce programme, créé en 2014, qui a propulsé le journaliste ivoiro-burkinabé à la tête de Radio Solidarité. Depuis, l’émission est diffusée en direct chaque lundi soir dans toute la région du Nord.

Lutter contre les amalgames

Créée en 2009, Radio Solidarité est la seule radio islamique de tout le nord du Burkina Faso, majoritairement musulman. Pour le rédacteur en chef, donner le point de vue de l’islam sur le terrorisme, expliquer aux musulmans ce que dit vraiment le Coran et ce qu’est réellement le djihad est devenu un devoir afin de lutter contre les amalgames et la radicalisation qui monte dans le nord du pays.

L’initiative est unique. Ces derniers mois, les radios locales burkinabées ont davantage été une source d’inquiétude que d’espoir pour les autorités. Certains prêches d’imams au discours radical, diffusés en direct sur les ondes, ont posé problème. Comme à Djibo, fief du groupe terroriste Ansaroul Islam, à une centaine de kilomètres au nord-est de Ouahigouya : le Burkinabé Ibrahim Malam Dicko, fondateur d’Ansaroul Islam, prêchait sur les radios locales La Voix du Soum et LRCD. Depuis, le Conseil supérieur de la communication a interdit les prêches en direct.

En décembre 2016, Abdoul Karim Sawadogo a été confronté à ce problème : « Un prêcheur m’a demandé de passer en direct. J’ai dit non. Il a vraiment insisté, il voulait payer 150 000 francs CFA [229 euros] la demi-heure. Je lui ai proposé de l’enregistrer avant de le diffuser, mais il n’a pas accepté. Que voulait-il bien pouvoir dire en direct sur ma radio ? » s’interroge-t-il lors de la pause de l’émission.

« Les terroristes n’aiment pas la bière, il paraît qu’ils vont attaquer les maquis de Ouahigouya »

Autour de lui, les invités se lèvent, le visage perlant de sueur, pour prendre l’air avant la reprise. Dans le studio, la température avoisine les 50 °C. L’ambiance décontractée tranche avec l’atmosphère tendue qui règne à Ouahigouya. Depuis quelques semaines, la peur a gagné la ville. Les Caraïbes, L’Escale +, Le Lingot… Au bord du goudron, les maquis sont moins remplis qu’à l’ordinaire. « Les terroristes n’aiment pas la bière, il paraît qu’ils vont attaquer les maquis de Ouahigouya maintenant », lâche un passant rencontré à quelques mètres du siège de la radio.

Abdoul Karim Sawadogo, lui, refuse de céder à la psychose malgré les menaces lancées à l’encontre de certains journalistes. En décembre 2016, vers Djibo, un animateur d’une radio locale a été menacé en direct par un auditeur parce qu’il avait osé parler de planification familiale. Depuis, ce sujet n’est plus abordé sur les ondes. « Beaucoup de gens m’ont alerté, m’ont dit de ne plus parler de certains sujets, surtout du terrorisme, car je risquais d’être attaqué. Mais je ne crains que Dieu », clame-t-il en se dirigeant dans la vaste cour abritant le siège de Radio Solidarité.

« Construire la paix »

C’est ici qu’il a grandi, dans cet immense complexe islamique baptisé « Cité des sciences ». Né en Côte d’Ivoire de parents burkinabés partis de l’autre côté de la frontière pour cultiver le cacao, Abdoul Karim Sawadogo a quitté les siens à l’âge de 9 ans pour s’installer à Ouahigouya. Le cheikh fondateur de la Cité des sciences l’a recueilli.

« Mon père ne voulait pas que je reste en Côte d’Ivoire à travailler dans les champs. Il disait que si je ne m’éloignais pas de lui, je ne pourrais jamais aller à l’école. Il m’a envoyé au Burkina Faso parce qu’il m’aimait », confie-t-il avec émotion, en s’asseyant au pupitre de l’une des salles de l’école franco-arabe jouxtant le siège de la radio. C’est sur ce banc qu’il a fait ses classes. Assidu en cours, il est vite devenu le protégé du directeur. « J’étais comme son fils. Il a cru en moi », poursuit-il, les yeux brillants.

Aujourd’hui, Abdoul Karim Sawadogo est à la tête d’une équipe de dix personnes et a développé un réseau de correspondants présents dans les 45 provinces du Burkina Faso. « J’aimerais faire plus, créer d’autres émissions pour exprimer le point de vue de la religion sur l’actualité. Mais nous manquons de moyens », regrette-t-il en refermant la porte capitonnée du studio A.

« Animistes, chrétiens, musulmans… Nous prions et nous vivons nos problèmes ensemble »

Derrière lui, le pasteur, l’imam et le prêtre échangent des accolades. L’émission est terminée. Les responsables religieux se connaissent bien, c’est la deuxième fois qu’ils participent à « Bangré Vuim ». « Animistes, protestants, catholiques, musulmans… Nous prions et nous vivons nos problèmes ensemble, comme les enfants d’un même père et d’une même mère, soutient l’imam. Je suis très content d’avoir participé à cette émission. Elle nous permet de faire comprendre aux Burkinabés que les religions ne sont pas là pour se faire la guerre, mais pour construire la paix. »

Le sommaire de notre série « Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme »

Dans le nord du Burkina Faso, pays longtemps épargné par le phénomène, la population vit désormais sous la menace djihadiste. Reportages et analyses.

Et notre présentation de la série : Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme