Fanny Michaelis | Fanny Michaelis

Il faut se méfier des comparaisons historiques trop hâtives. Elles permettent souvent d’éviter de penser la singularité des situations présentes. ­Elles peuvent tenir lieu d’avertissement, allumer dans nos mémoires ces petits clignotants rouges à signification connue : danger à l’horizon. Mais elles ne servent à rien si l’on en vient à galvauder le sens des mots – le « CRS SS » du printemps 1968 – sinon à caricaturer une actualité qu’il faut pourtant déchiffrer pour mettre au jour ce qu’elle recèle de périls potentiels. C’est la leçon de ces pages consacrées au camp des Milles (Bouches-du-Rhône), qui fut, de 1939 à 1942, le plus grand camp d’internement et de déportation dans le sud-est de la France.

Aujourd’hui, dans toute l’Europe, à de rares exceptions près, une extrême droite nationaliste menace la stabilité de régimes démocratiques où, depuis la guerre, la vie politique était rythmée par l’alternance au pouvoir de formations de centre droit et de centre gauche. L’extrémisme s’installe dans le spectre politique. Il menace le projet européen. Il banalise, parfois, une forme de xénophobie. Il procède par slogans simplistes, à coups de vieux stéréotypes, cherchant des boucs émissaires aux pathologies de sociétés en proie à des bouleversements majeurs : mondialisation et révolution technologique permanente. Un parti comme le Front national français a une explication pour tout : l’étranger. Qu’il s’agisse du projet européen ou de l’immigration, c’est toujours « l’étranger » le coupable, qui exonère le pays de toute responsabilité dans ses difficultés.

Déjà vu ?

Les partis de gouvernement n’ont pas écouté, pris en compte le malheur de ceux qui, in fine, sont allés chercher refuge et réconfort dans l’extrémisme. Déjà vu ? On évoque la montée des nationalismes dans les années 1930. La situation stratégique n’a rien à voir. Les dangers sont très différents. L’Europe n’est pas menacée par une puissance comme l’Allemagne nazie. Aucun des pays du Vieux Continent n’est à proprement parler sous le coup d’une menace militaire existentielle – bien réel, le péril djihadiste est d’une autre nature.

Mais, dans la mécanique du bouc émissaire enclenchée par les partis extrémistes, dans le refuge identitaire qu’ils cultivent à plaisir, réside le danger d’un engrenage, connu et répertorié, qui peut mener à nouveau aux pires catastrophes. C’est ce que dit ici le sociologue Alain Chouraqui. Il faut l’entendre. Il a été de ceux qui se sont battus pour préserver le camp des Milles, où les autorités françaises de l’époque, dans des conditions inhumaines, ont interné nombre de ceux – 2 000 juifs notamment – qui furent ensuite envoyés dans les camps de la mort. Le camp des ­Milles est l’unique lieu d’internement datant de la guerre et préservé en l’état.

Comment éviter le retour de tragédies similaires ? S’interroger, dit Alain Chouraqui, sur les conditions de l’avènement du Mal, c’est insister, sans répit, sur l’importance de la démocratie. Dans sa médiocrité quotidienne souvent, avec sa laborieuse et fragile mécanique de pouvoirs et de contre-pouvoirs, d’institutions libres et s’imposant aux gouvernants, la démocratie est, avec l’étude de l’histoire, plus nécessaire que jamais en ces temps troublés.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Fondation du camp des Milles.