Le 3 mars au soir, une marque de saké privatisait la cathédrale de l’avenue Georges-V pour célébrer sa naissance et prêcher sur… les dangers du changement climatique. | Massimo Vitali

Paris à l’heure de la Fashion Week, il y a un mois. Avenue Georges-V, les grondements d’une soirée qui bat son plein. Surprise, la musique ne s’échappe pas des murs d’un palace, ou d’une boutique de luxe, mais de la cathédrale américaine de Paris. On y célèbre la naissance d’un tout nouveau saké franco japonais, Heavensake. Des percussionnistes nippons remplacent les habituels choristes pour accueillir les invités de cette soirée baptisée « Better High ».

Aux douze coups de minuit, les DJs s’interrompent et prient les fêtards d’enfiler leur masque antipollution distribué un peu plus tôt. Un rappel des dangers du changement climatique. « La planète, c’est la Création divine, alors forcément, nous avons apprécié le message », approuve Delphine Kilhoffer, responsable de la privatisation des espaces de la cathédrale américaine. Une carrière dans la mise en scène théâtrale et huit années en tant que paroissienne ont fait d’elle le choix idéal à ce poste clé. Autre événement : un « Escape Game », ou jeu d’évasion grandeur nature, organisé le 8 avril, sur le thème du livre de Dan Brown paru en 2013, Inferno.

« Dieu est joyeux et la fête est quelque chose de merveilleux. » Lucinda Laird, prêtre

Le jour de Better High, des invités tels que Peter Dundas, Anna Dello Russo, Bianca Brandolini d’Adda, Azealia Banks ou encore Louis-Marie de Castelbajac ont franchi le porche de l’église. « Dans un autre contexte, JoeyStarr est venu. Et je crois pouvoir dire qu’il n’est pas un habitué des lieux saints », sourit malicieusement Delphine Kilhoffer. C’était en novembre 2016, à l’occasion du lancement de la nouvelle mouture du Guide Fooding. L’élection de Donald Trump, le soir même, est venue jouer les trouble-fêtes. « Je ne veux plus parler de cette nuit », déclare aujourd’hui la doyenne ou very reverend Lucinda Laird, qui espérait la victoire d’Hillary Clinton. Prêtre – Lucinda refuse « prêtresse » et sa connotation païenne – depuis trente-quatre ans, cette Américaine née à La Nouvelle-Orléans a d’abord été actrice,
et a même joué à Broadway. Et pour elle, rien d’anormal à ce que la cathédrale héberge des fêtes où s’invite le profane : « Dieu est joyeux et la fête est quelque chose de merveilleux. »

Ajouté à l’architecture néogothique, ce mélange de « joyeux » et de « merveilleux » ne cesse de séduire : de la scène d’ouverture des Césars tournée devant l’autel, en passant par le défilé automne 2016 du créateur Vetements, jusqu’à la soirée de lancement de la collection Sephora avec Kat Von D, star des tatoueuses. À travers tous ces événements, l’idée est de redonner une place centrale à l’église. En s’adaptant à son époque, la cathédrale américaine veut être un lieu de rencontre et de dialogue.

Des clients sélectionnés

L’Église épiscopale, peu connue en France, est membre de la communion anglicane. Un mélange de catholicisme et de protestantisme qui se veut très progressiste – les femmes peuvent être ordonnées prêtres depuis 1976. « Je soutiens le mariage gay à partir de fondements théologiques. » Lucinda Laird s’oppose à un christianisme du « jugement et de la honte », qui exclut au lieu d’accueillir. La cathédrale a même constitué un groupe paroissial LGBT et bilingue, Lambda.

Cette définition du message religieux influe d’ailleurs sur la sélection des clients. « M. Dassault a un joli portefeuille, mais il ne pourra jamais louer nos locaux », affirme Delphine Kilhoffer. Les vendeurs d’armes ne sont pas les bienvenus. Aux États-Unis, l’Église épiscopalienne est, en effet, engagée contre le port des armes. « Par ailleurs, nous refusons toute entreprise ou personne qui transmette des messages violents ou antireligion. » Les entreprises de production de tabac ou de pétrole ne sont pas non plus souhaitées – à l’inverse des yogis, les mardis et jeudis pendant le carême, pour un cours avec la révérend Mary. L’apport de gains issu des locations remplace les dons de plus en plus rares des expatriés américains. L’argent est réinvesti dans l’entretien du bâtiment et les bonnes œuvres. Reste une dernière question : la communauté gagne-t-elle en fidèles ? Joey Starr n’a pas encore été vu à la messe du dimanche.

Par Clotilde Alfsen