Depuis le Forum mondial de Dakar sur l’éducation pour tous (EPT), en 2000, une mobilisation internationale sans précédent a eu lieu en faveur de l’éducation en direction des pays les plus en retard, pour la plupart en Afrique subsaharienne. Considérés comme un droit et un moteur du développement, l’accès, la qualité et le financement de l’éducation posent encore un très grand nombre de questions, sur lesquelles la recherche est amenée à travailler pour envisager l’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) en 2030.

La production de connaissances sur l’éducation dans les pays en développement s’est donc considérablement accrue dans les dernières décennies et de nombreux espaces consacrés à la recherche ont vu le jour dans le monde. Commanditée par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), une récente étude réalisée par un collectif de chercheurs de l’Association pour la recherche sur l’éducation et les savoirs (ARES) apporte des éléments de réponses inédits sur la production scientifique française au travers des thèses, des offres de formation de niveau master, des publications académiques des chercheurs et des programmes de recherche dans ce champ de l’éducation.

Pas de pôle académique structuré

À partir des bases existantes de référencement de thèses dans le champ de l’éducation (hors linguistique, pédagogie et didactique) sur les pays en développement entre 1990 et 2013, un corpus de 448 thèses soutenues et de 179 thèses en cours a pu être identifié. Fruit d’un « effet EPT », l’évolution globale du nombre de thèses sur l’éducation dans les pays en développement révèle une nette augmentation au cours des années 2000. Si ces thèses de doctorat sont toutes soutenues en France, un très grand nombre d’entre elles le sont par des étudiants originaires des pays en développement.

Au niveau des disciplines de ces thèses, on observe une prédominance des sciences de l’éducation (60 %), suivies de l’économie (20 %) et de la sociologie (10 %). En termes de régions, il faut noter une nette priorité géographique accordée à l’Afrique subsaharienne (54 %). Sur la période 1990-2013, il y a un intérêt croissant pour l’Asie et une diminution des thèses portant sur l’Afrique du Nord.

En ce qui concerne le niveau d’enseignement, il y a un intérêt porté avant tout sur le niveau primaire (35 %), mais également un fort pourcentage de thèses portant sur l’ensemble du système éducatif (29 %). En revanche, l’enseignement technique et professionnel est très peu traité (3 %), de même que l’éducation non formelle (2 %) et la petite enfance (0,8 %).

Du côté des thématiques abordées, l’accent est mis avant tout sur l’offre éducative, à travers principalement la question des enseignants (statut, formation, pratique), la pédagogie, les apprentissages, les curricula, mais aussi les politiques éducatives et l’analyse des systèmes éducatifs. Parmi les thématiques peu traitées, on peut noter les différentes formes d’équité, la santé (hormis quelques thèses sur le handicap), les violences en milieu scolaire, les conflits, le secteur privé, les parcours scolaires, les langues d’enseignement et l’éducation non formelle.

En termes de cartographie académique, 44 % des thèses soutenues l’ont été à Paris (universités, Sciences Po, Institut national des langues et civilisations orientales et Ecole des hautes études en sciences sociales), dont près de 20 % dans seulement deux universités : Paris-5-Descartes et Paris-8. Seulement treize universitaires ou chercheurs ont dirigé au moins cinq thèses relatives à l’éducation dans les pays du Sud sur la période 1990-2013. Malgré le nombre très important de thèses soutenues, l’analyse démontre l’inexistence, en France, d’un pôle académique structuré et centré sur le champ de l’éducation dans les pays en développement. Il y a ainsi 137 directions de thèse différentes sur les 179 thèses en cours au total.

À partir de différentes sources existantes depuis 1990, 386 publications sur l’éducation dans les pays en développement peuvent être référencées : 279 articles parus dans 63 revues à comité de lecture, 68 chapitres d’ouvrage et 39 ouvrages. Les revues anglophones et hispanophones représentent plus du tiers des 63 revues répertoriées. Près de 80 % des références ont été publiées après 2000. L’analyse, réalisée à partir des titres des articles parus en français, met en évidence une recherche fortement concentrée sur le niveau primaire en Afrique subsaharienne.

Isolement et manque de financement

Cet état des lieux, assurément incomplet et bien sûr provisoire, a permis de recenser un peu moins de 70 chercheurs (majoritaires) et enseignants-chercheurs travaillant actuellement sur ce thème, réparti dans 23 structures de recherche. Parmi celles-ci, le Centre Population et Développement (Ceped) apparaît aujourd’hui comme la seule structure de recherche qui comporte une équipe explicitement centrée sur l’éducation dans les pays en développement. Parmi les autres laboratoires, seuls cinq affichent encore au moins deux enseignants-chercheurs, chercheurs permanents et/ou associés travaillant sur les questions d’éducation dans les pays en développement. Au cours de toute son histoire, une institution comme l’Institut de recherche pour le développement (IRD) a recruté moins de dix chercheurs en rapport avec le champ de l’éducation.

Ce qui ressort globalement de cette analyse, c’est à la fois l’intérêt continu porté sur le sujet en France, qui confirme l’analyse des thèses passées ou en cours, mais aussi la dispersion de ces forces et la déperdition qui en résulte. Les chercheurs qui travaillent isolés manquent visiblement d’un soutien qui les aiderait à poursuivre des recherches dans cette voie et à publier.

Par ailleurs, l’inventaire des offres de formation de niveau master portant sur l’éducation avec une dimension internationale et orientée vers les pays du Sud s’avère très limité. La faible présence d’enseignants-chercheurs, responsables de la formation des futurs doctorants, ne laisse pas augurer d’une amélioration prochaine de ce relatif isolement de la recherche française sur l’éducation dans les pays en développement. En outre, très peu de programmes de recherche dédiés ont bénéficié d’un financement spécifique, de type Agence nationale de la recherche (ANR).

Finalement, la recherche française démontre une dispersion grandissante des directeurs de thèses, un nombre très restreint de ces directeurs étant spécialistes de la question, et une absence de pôles académiques spécialisés. Elle apparaît insuffisamment structurée, faiblement soutenue et donc peu visible, alors même que l’intérêt pour le champ est croissant. Face à cette situation, il revient à la communauté scientifique impliquée dans ce champ, en France mais aussi dans l’ensemble de l’espace francophone et tout particulièrement dans les pays du Sud, de trouver les voies et moyens pour davantage communiquer, échanger et se rendre plus visible.

Rohen d’Aiglepierre est chargé de recherche capital humain à l’AFD, Luc Ngwé est politiste et sociologue à l’ARES-Ceped, Marc Pilon est démographe au Ceped et à l’IRD.

Cet article est d’abord paru sur le site français de The Conversation.

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